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frein de la raison, et qui osent dire : « Je n’ai plus rien de commun avec le corps, tout ce qui semble attrayant est sans prix à mes yeux ; j’aspire à de plus nobles jouissances »

Pétrarque. Ils sont extrêmement rares, et je comprends maintenant la difficulté dont vous me menaciez.

S. Augustin. Ces passions éteintes, ce désir sera parfait et libre. Car, comme l’âme est soulevée d’un côté vers le ciel par sa propre noblesse, et appesantie de l’autre par le poids du corps et les séductions terrestres, il en résulte que désirant à la fois monter et rester en bas, tiraillés en sens contraire, vous n’arrivez à rien.

Pétrarque. Que faut-il donc faire, selon vous, pour que l’âme pure, secouant les entraves de la terre, s’envole vers les hautes régions ?

S. Augustin. Ce qui mène à ce but, assurément, c’est la méditation dont j’ai parlé en premier lieu et le souvenir continuel de notre mortalité.

Pétrarque. Si je ne m’abuse encore, personne au monde n’est plongé plus souvent que moi dans ces réflexions.

S. Augustin. Voilà une nouvelle chicane et un autre embarras.

Pétrarque. Quoi donc ! est-ce que je mens encore cette fois ?

S. Augustin. Je voudrais parler plus poliment.

Pétrarque. Mais pour dire cela ?

S. Augustin. Oui, pas autre chose.