Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/48

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remplissent l’âme de terreur. Quand on accompagne au tombeau quelqu’un de son âge, on tremble nécessairement devant la catastrophe d’autrui, et on commence par être inquiet pour soi, de même qu’en apercevant les toits de tes voisins en feu, tu ne peux pas être tranquille sur les tiens, parce que, comme dit Horace, tu sens que peu après le danger viendra vers toi[1]. L’impression sera plus forte pour qui voit enlevé par une mort soudaine quelqu’un plus jeune, plus vigoureux et plus beau que lui ; il fera un retour sur lui-même et dira : « Celui-ci semblait vivre sans inquiétude et cependant il a été banni ; son âge, sa beauté, sa vigueur ne lui ont été d’aucun secours. Quel dieu ou quel magicien m’a garanti la sécurité ? Assurément je suis mortel. » Lorsque cela arrive aux empereurs et aux rois de la terre, à des personnages puissants et redoutés, les assistants sont encore plus émus en voyant terrassé subitement ou peut-être dans une agonie de quelques heures, celui qui avait coutume de terrasser les autres. D’où vient, en effet, sinon de cette source-là, ce que font à la mort des grands hommes les peuples stupéfaits, et, pour te ramener un peu à l’histoire, ces nombreux exemples que tu as cités à la mort de Jules César[2] ? Ce spectacle public frappe les yeux et les cœurs des mortels, et, en leur montrant le sort d’autrui, les rappelle au souvenir de leur destinée.

  1. Épîtres 1, 18, 83.
  2. Vie de Jules César.