Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/71

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nous, à en juger par ce que l’on rapporte de l’illustre philosophe Plutarque. Enfin, notre Sénèque, tout en rendant justice à Cicéron, comme je viens de le dire, forcé par la majesté d’un langage si harmonieux, décerne pour le reste la palme à la Grèce. Cicéron est d’un avis contraire. Si tu veux savoir mon sentiment à cet égard, je trouve qu’ils sont dans le vrai l’un et l’autre en taxant de pauvreté les langues de la Grèce et de l’Italie. Si l’on a raison de parler ainsi de ces deux pays si fameux, que peuvent espérer les autres ? Considère après cela quelle confiance tu peux avoir dans ton habileté quand un pays entier, dont tu n’es qu’une infime parcelle, offre une telle pénurie de langage. Tu rougiras d’avoir perdu tant de temps pour une chose qu’il est impossible d’acquérir et dont l’acquisition serait inutile.

Mais pour passer maintenant à d’autres sujets, tu es infatué de tes avantages physiques, et tu ne vois pas à quels périls ils t’exposent. Qu’est-ce qui te plaît dans ta personne ? Est-ce la vigueur ou la bonne santé ? Mais rien n’est plus fragile ; la fatigue qu’engendrent les moindres causes, les divers accès des maladies, la piqûre d’un vermisseau, un simple courant d’air et mille autres accidents de ce genre en sont la preuve. Serais-tu, par hasard, trompé par l’éclat de ta beauté, et en voyant le teint ou les traits de ton visage, serais-tu émerveillé, charmé, ravi ? L’histoire de Narcisse ne t’a point effrayé. La considération de la