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laideur du corps ne t’a point averti combien tu étais vil au dedans, et, content de voir l’enveloppe extérieure, tu n’étends point au delà les regards de l’intelligence. Pourtant, à défaut des autres indices, qui sont innombrables, le cours agité de ta vie, qui t’enlève chaque jour quelque chose, aurait dû te montrer avec la dernière évidence que cette fleur est aussi caduque et périssable. Et si, par hasard (ce que tu n’oseras dire), tu te crois invincible à l’âge, aux maladies et à tout ce qui altère la beauté du corps, tu n’as point oublié du moins celle qui à la fin renverse tout, et tu as dû graver, au fond de ta mémoire, ce mot du satirique : La mort seule fait voir combien l’homme est petit[1].

Voilà, si je ne me trompe, les causes qui, en te gonflant d’orgueil, t’empêchent d’envisager la bassesse de ta condition et de songer à la mort. Il y en a encore d’autres que je me propose maintenant de passer en revue.

Pétrarque. Arrêtez-vous un peu, je vous prie, de peur qu’accablé sous le poids de tant de reproches, je ne puisse me lever pour répondre.

S. Augustin. Parle donc, je m’arrêterai volontiers.

Pétrarque. Vous ne m’avez pas médiocrement surpris on me reprochant une foule de choses qui, j’en ai la certitude, ne sont jamais entrées dans mon âme. « Je

  1. Juvénal, X, 172-173.