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j’imagine, que c’est par un tendre intérêt pour tes amis, et tu trouveras un beau prétexte à ton erreur ; mais quelle démence, pour être l’ami d’autrui, de se faire la guerre a soi-même et de se traiter en ennemi !

Pétrarque. Je ne suis ni assez avare ni assez inhumain pour ne point m’intéresser à mes amis, surtout à ceux que la vertu ou le mérite me concilient, car il en est que j’admire, que je vénère, que j’aime et que je plains ; mais, d’un autre côté, je ne suis point assez généreux pour me ruiner à cause de mes amis. Je désire ménager, afin d’assurer ma subsistance pendant que je vivrai, et (pour me couvrir du bouclier d’Horace, puisque vous m’attaquez avec les traits d’Horace) je vise à avoir suffisamment de livres et une provision de grains pour l’année, afin de ne pas vivre inquiet au jour le jour[1]. Et comme je tiens, suivant le même poète, à ce que ma vieillesse ne soit ni honteuse ni privée de la lyre[2] et que je crains beaucoup les écueils d’une longue vie, je pourvois de loin à ce double vœu, et j’entremêle aux travaux des Muses le soin de mes affaires domestiques. Mais je le fais avec tant d’indifférence qu’il est bien évident que je suis forcé de descendre à de pareilles occupations.

S. Augustin. Je vois combien ces prétextes qui servent d’excuse à ta folie ont pénétré profondément dans ton âme. Pourquoi

  1. Épîtres, I, 18, 109-110.
  2. Odes, I, 31, 19-20.