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lisera de félicité avec Jupiter même[1]. Non je ne borne point la vie humaine au pain sec et à l’eau de rivière : ce sont là des maximes aussi outrées qu’importunes et odieuses à entendre. Aussi par égard pour ta faiblesse, je ne te commande pas d’étouffer la nature, mais de la réprimer. Ton avoir suffisait à tes besoins si tu avais su te suffire à toi-même ; maintenant c’est toi qui es l’auteur de l’indigence que tu subis. Accumuler des richesses, c’est accumuler les nécessités et les soucis. Cette vérité a été soutenue tant de fois qu’il n’est pas besoin de nouvelles preuves. Quelle étrange erreur, quelle déplorable aveuglement de la part de l’âme humaine, d’une nature si noble et d’une origine céleste, de négliger les choses du ciel, pour convoiter les métaux de la terre ! Songe à cela, je te prie, et affermis les regards de ton âme, de peur que l’éclat rayonnant de l’or ne les éblouisse. Chaque fois que, tiré par les grappins de la cupidité, tu descends de tes hautes méditations à ces basses pensées, ne te sens-tu pas précipité du ciel sur la terre et du sein des astres plongé dans un abîme profond ?

Pétrarque. Je le sens, à la vérité, et l’on ne saurait dire combien je suis brisé dans ma chute.

S. Augustin. Pourquoi ne crains-tu donc pas ce que tu as éprouvé tant de fois ? et, quand tu t’es élevé vers les choses d’en haut, que n’y restes-tu fixé solidement ?

  1. Sénèque, Lettres, XXV.