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et timide, dégoûté de ce qu’il a, regrettant ce qu’il a perdu, inquiet tout à la fois du présent, du passé et de l’avenir, plein d’orgueil dans sa misère et connaissant sa fragilité, inférieur aux plus vils vermisseaux, sa vie est courte, ses jours sont incertains, sa destinée est inévitable et il est exposé à mille genres de mort.

Pétrarque. Vous avez entassé tant de misères et de privations que je regrette presque d’être venu au monde.

S. Augustin. Au milieu d’une si grande faiblesse et d’une si profonde indigence des hommes, tu rêves une richesse et une puissance dont n’ont jamais joui complètement ni les Césars, ni les rois.

Pétrarque. Qui s’est servi de ces mots-là ? Qui a parlé de richesse ou de puissance ?

S. Augustin. Mais quelle plus grande richesse que de ne manquer de rien ? quelle plus grande puissance que de ne dépendre de personne ? Certes les rois et les maîtres de la terre, que tu crois si opulents, manquent d’une foule de choses. Les chefs d’armée eux-mêmes dépendent de ceux auxquels ils semblent commander, et tenus en échec par leurs légions armées, celles qui les rendent redoutables les font trembler à leur tour. Cesse donc de rêver l’impossible, et content du sort de l’humanité, apprends à vivre dans le besoin et dans l’abondance, à commander et à obéir, sans vouloir avec de pareilles idées secouer le joug de la fortune qui pèse sur la tête des rois. Ce joug, tu n’en seras affranchi que lorsque, faisant