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longue échéance. Je parle par expérience, moi qui en ai fait autant. Je disais : « Donnez-moi la chasteté, mais pas maintenant[1] ; différez un peu, le moment viendra bientôt. Mon âge est encore dans toute sa vigueur, qu’il suive ses sentiers, qu’il obéisse à ses lois, il serait plus honteux de revenir à ces penchants de la jeunesse ; j’y renoncerai donc quand le cours du temps m’aura rendu moins apte à cela et que la satiété des plaisirs m’ôtera la crainte d’y retourner. » En parlant ainsi, ne vois-tu pas que tu veux une chose et que tu en demandes une autre ?

Pétrarque. Comment cela ?

S. Augustin. Parce que demander pour le lendemain, c’est négliger pour le présent.

Pétrarque. J’ai souvent demandé avec larmes pour le présent. J’espérais qu’après avoir brisé les liens des passions et foulé aux pieds les misères de la vie, je m’échapperais sain et sauf, et qu’après tant de tempêtes d’inutiles soucis, je me sauverais à la nage dans quelque port salutaire. Mais vous voyez combien de naufrages j’ai essuyés depuis parmi les mêmes écueils, et combien j’en essuierai encore si l’on m’abandonne.

S. Augustin. Crois-moi, il a toujours manqué quelque chose à ta prière ; autrement le Dispensateur suprême t’aurait exaucé, ou comme il a fait à l’apôtre Paul[2], il t’aurait refusé pour te perfectionner dans la vertu et te convaincre de ta faiblesse.

Pétrarque. C’est ma conviction ; toutefois

  1. Confessions, VIII, 7.
  2. Aux Corinthiens, 2, 12,0.