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ne s’abuse guère sur les gens et, — s’il arrive qu’un hasard heureux ait surfait votre réputation, — comme la preuve de votre valeur est à refaire chaque jour et à toute heure, cette réputation ne tient pas. Telle est bien l’impression que, malgré mes tristesses, j’ai rapportée de la partie de ma vie vécue dans ce monde-là. Pourquoi l’ai-je quitté pour entrer dans un autre certainement moins sain et moins réel sous ses raffinements ? Je peux bien vous la confesser ici, cette idée qui m’a souvent hanté : c’est que j’ai vaguement pressenti que je n’étais pas capable de la valeur continuelle qu’il y faut, de la constante clairvoyance, de la constante maîtrise de soi qu’exigent de pareils métiers pour y être « quelqu’un ».

Et ce dut être la sourde conscience de cette haute valeur que je sentais me manquer et que quelque chose me faisait deviner dans ce pilote, qui m’attirait vers lui. Je crois avoir vu un homme ce jour-là, en un moment où mon âme repliée sur elle-même et comme racornie n’était nullement prédisposée à s’illusionner en bien, où rien d’extérieur ne l’y préparait.

Ce pilote, je ne le sus que plus tard, était, suivant une expression courante de la marine, « un fameux homme », et, dans toute la colonie de Saint-Pierre, il était regardé comme une autorité, une grandeur. C’était l’aîné et le plus distingué de trois frères, les Le Dret, (je ne vous garantis pas l’orthographe du nom) dont on raconte dans le pays maints hauts faits, maints exploits maritimes.