Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/72

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une minute pour prendre bottes ni cirage, je vais t’apprendre à faire le beau parleur !… Ça fait des discours, et puis ça dort quand ceux qui valent mieux que lui sont sur le pont ! Est-ce que le moule de ta culotte est plus précieux que le mien par hasard ? Eh bien ! va le rafraîchir à ton tour ! » Sur l’heure, je trouvai l’aventure mauvaise, mais depuis j’ai su gré à celui qui m’a si bien fait sentir que les discours ne mènent à rien.

Au matin de cette même nuit, le câble, qui était filé jusqu’à la dernière extrémité, se rompit, et, bien entendu, fut perdu avec toute la chaîne qui était dehors, ainsi que l’ancre. C’était une perte de plusieurs milliers de francs, dont l’équipage devait subir le cinquième, plus sûrement que récolter le cinquième de bénéfices, problématiques déjà avant cette perte. En plus, les lignes étaient dehors, qui représentaient elles aussi une valeur de trois ou quatre mille francs. On mit donc le navire en panne pour ne pas s’en éloigner trop. Le vent se calma dans la soirée, et dès qu’on put porter quelque toile, on refit la route opposée à la dérive effectuée pendant la tempête. Le lendemain, on fut assez heureux pour apercevoir les bouées. Les tentis furent tirés avec une seule chaloupe ; l’une des deux avait tellement souffert pendant le coup de vent qu’on ne jugea pas qu’elle valût la peine d’être relevée. Grâce à l’entrain puisé par tous dans le sentiment que cette campagne de malédiction était enfin finie, le soleil était encore haut lorsque le cap fut mis sur Saint-Pierre. La situation