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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/104

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VAUVENARGUES.

blesse. Sur quelle base fonder l’idée du bien, si l’accomplissement du devoir n’est plus l’acte conscient d’une volonté libre, mais le mouvement spontané et, si je puis dire, la fonction naturelle d’une âme inspirée ? Que devient la loi morale dès qu’on lui conteste le caractère d’obligation absolue, immuable et universelle, — caractère si beau et si certain que la critique inexorable de Kant a dû désarmer devant lui ? Enfin, quelle étrange conseillère que la sensibilité, aussitôt que, livrée à elle-même et privée de l’appui de la raison, elle revêt la forme de la passion ! Où mène-t-elle alors ? Capricieuse, mobile, fantasque, soumise d’assez près à l’influence de l’organisme physique, elle porte l’âme aux plus grands enthousiasmes, ou bien elle l’abandonne aux pires misères de la personnalité ; semblable à l’esprit divin qui souffle où il veut, elle crée, suivant le jour, suivant l’heure, des héros et des martyrs ou des lâches et des voluptueux. Et ne sont-ce pas les cœurs les mieux nés qui, sous son empire, ont donné le spectacle des plus singulières défaillances, des plus incroyables égarements ?

À vrai dire, les préceptes divers dans lesquels Vauvenargues a résumé ses idées sur la direction de la vie ne constituent pas une doctrine morale ; ou plutôt c’est la doctrine de ceux qui n’ont besoin d’aucun système de philosophie pour apercevoir le