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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/22

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VAUVENARGUES.

Marmontel, a pu dire de lui : « Il tenait nos âmes dans ses mains ».

Pour avoir acquis si tôt une telle influence, il fallait qu’il possédât aussi, à un degré éminent, le don sympathique de la parole, c’est-à-dire la faculté de manifester son esprit dans toutes les nuances par l’accent, par le geste, par le regard, par la grâce de sa personne. Ce n’est donc pas dans ses écrits, c’est dans ses entretiens qu’aurait été déposée la fleur de sa pensée, et elle serait irrémédiablement perdue. Le sacrifice de la meilleure part de leur œuvre est la rançon imposée à ceux qui eurent le charme entraînant ou persuasif de l’expression : vivants, ils exercent l’action la plus directe et la plus despotique sur les esprits ; tandis qu’ils parlent, ils sont vraiment les maîtres des âmes, et ils ont la superbe jouissance de sentir qu’ils les dominent. Mais leur pouvoir disparaît avec eux ; car les belles paroles qui tombèrent de leurs lèvres, on ne les répétera jamais telles qu’ils les ont dites.

Que se passait-il, pendant ces heures de solitude et de recueillement, dans cette tête de vingt-deux ans ? De quelles pensées était faite sa rêverie ? — D’une belle idée et d’une grande passion.

L’idée, c’était que les choses de l’âme sont seules dignes d’intérêt, qu’elles ont une valeur de tous les jours et de tous les instants, qu’elles constituent, à l’exclusion de toutes les sciences, la seule con-