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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/34

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VAUVENARGUES.

tire aux yeux de son ami : « … Elle refusait mes lettres,… elle me mettait au désespoir…. Une dernière algarade me poussa à bout ; je la rembarrai avec cette volubilité et cette vivacité d’expressions que la nature m’a données ; je l’atterrai avec un tel dédain, qu’elle ne trouva pas le mot à dire. Bientôt, un amusement léger et sincère changea tout à coup la face de mon cœur : je m’aperçus, avec étonnement, que je ne l’aimais plus, et j’en fus dans une joie sensible. Je retrouve enfin mon âme, ma raison, mes projets ; enfin, je suis moi. Je le lui ai fait sentir au naturel, et j’ai à présent le plaisir de la voir en être fâchée, sans que cela me touche. »

Tout autre est Vauvenargues. Pour les amours faciles, il voulait (la réponse à Mirabeau nous l’a déjà laissé entendre) qu’on y gardât toujours quelque délicatesse et qu’on ne s’y départît jamais d’une certaine pudeur morale. À cet égard, il ne ressemblait guère aux libertins de son temps ; il n’avait rien de cette « méchanceté » qu’il était de bon ton de porter dans la galanterie, — de cette cruauté dépravée qui descendit bientôt du cœur jusqu’aux sens et qui devint la plaie honteuse du xviiie siècle. Les créatures même les plus déchues lui paraissaient mériter encore, à défaut de sympathie, un peu de pitié[1]. Un souvenir de jeunesse,

  1. Il a donné de la pitié une définition exquise : « C’est, dit-il, un sentiment mêlé de tristesse et d’amour ».