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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/39

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VAUVENARGUES ET LE MARQUIS DE MIRABEAU.

droit qu’a l’œuvre, fille de la pensée, d’éclore à son heure, de jaillir du cerveau et de vivre de la vie idéale.

De Bordeaux, où Mirabeau résidait alors, partageant sa vie entre le commerce des femmes et la société du président de Montesquieu, il stimule l’activité de Vauvenargues ; il lui reproche de s’abandonner à la paresse de la méditation et au charme de la rêverie : il le presse enfin de se proposer un plan de vie : « Eh quoi ! mon cher, vous pensez continuellement ; rien n’est au-dessus de la portée de vos idées, et vous ne songez pas un moment à vous faire un plan fixe. Il n’est pas d’un philosophe de vivre au jour la journée. » (30 mars 1739.)

Vauvenargues accepte le reproche de rêverie, mais décline le titre de philosophe : « Vous me faites trop d’honneur, répond-il, en cherchant à me soutenir par le nom de philosophe dont vous couvrez mes singularités ; c’est un nom que je n’ai pas pris ; on me l’a jeté à la tête, je ne le mérite point ; je l’ai reçu sans en prendre les charges ; le poids en est trop fort pour moi. »

Et comme Mirabeau redouble ses instances, il réplique : « Il est vrai que peu de gens vivent au jour la journée ; je suis le seul peut-être ; les autres hommes ont un objet dans l’avenir et ils y attachent le bonheur ; mais songez, je vous prie, qu’ils l’y attachent faussement, que cet objet les fuit toujours