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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/79

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AMITIÉ DE VOLTAIRE.

estimait. Il était assez naturel aussi, assez humain que Vauvenargues, dont le marquisat n’était pas ancien, n’eût pas l’esprit très libéral sur ce point, et hésitât à s’élancer dans une voie où un Bussy et un La Rochefoucauld n’avaient pas craint de déroger.

Mais ce n’étaient pas seulement des préjugés de caste, c’étaient aussi des répugnances de tempérament qui l’arrêtaient. Vers le temps de la Régence, l’écrivain, tel qu’il existait au xviie siècle, s’était transformé en homme de lettres ; il ne vivait plus hors du monde ou sur les confins du monde ; il s’y était mêlé, et sa moralité y avait considérablement perdu. À quelques exceptions près, il n’est pas de race plus méprisable que cette gent littéraire du xviiie siècle, plate, servile, orgueilleuse, libertine, débraillée, vivant à l’aventure ou entretenue des pensions qu’elle mendiait, parasite et payant son écot d’une saillie, d’une flatterie ou d’une épigramme, masquant la bassesse de son âme sous l’insolence de ses propos, sans caractère ni dignité. S’il ne la connaissait pas encore d’expérience, Vauvenargues la devinait fort bien, et lorsque Mirabeau, dont la nature se froissait moins facilement, lui en vantait l’agréable commerce, il répondait d’instinct à son ami : « Je vous dirai franchement qu’ôtez quelques grands génies dont je respecte les noms, le reste ne m’impose pas » ; et