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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/90

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VAUVENARGUES.

ferme, sereine et maîtresse d’elle-même ? Non, par instants elle a payé tribut à la faiblesse humaine. C’est la loi commune : les consciences les plus fortes de l’humanité, au moment de l’épreuve suprême, ont eu, comme les autres, leur angoisse et leur détresse intime ; mais la supériorité de leur nature les a si vite ressaisies, leur défaillance a été si courte et si secrète, que parfois le monde n’en a rien su.

J’imagine que chez Vauvenargues les heures de découragement coïncidèrent avec les rechutes de son mal, car, à deux ou trois reprises, une atténuation, un répit dans ses souffrances, peut-être simplement une de ces améliorations passagères que la volonté opiniâtre de vivre opère parfois chez les êtres pleins de jeunesse qui se sentent mourir, avaient fait luire à ses yeux des promesses trompeuses de guérison[1]. Mais bientôt, comme si l’infortuné n’avait repris de forces que pour mieux

  1. C’est pendant une de ces intermittences de son mal que, recevant la nouvelle de l’invasion de la Provence par les Impériaux, il écrivit à Saint-Vincens la belle lettre à laquelle il est fait allusion plus loin (p. 141). « J’ai besoin de toute votre amitié, mon cher Saint-Vincens : toute la Provence est armée, et je suis ici bien tranquillement au coin de mon feu ; le mauvais état de ma santé ne me justifie point assez, et je devrais être où sont tous les gentilshommes de la province. Offrez mes services pour quelque emploi que ce soit, et n’attendez point ma réponse pour agir ; je me tiendrai heureux et honoré de tout ce que vous ferez pour moi et en mon nom. » (Paris, 24 novembre 1746.)