Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/106

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des fatalités contraires, ils se débattent impuissants et exaspérés. Les aveux de ce genre abondent dans Vigny. « Il n’y a dans le monde, à vrai dire, que deux sortes d’hommes : ceux qui ont et ceux qui gagnent… Pour moi, né dans la première de ces deux classes, il m’a fallu vivre comme la seconde, et le sentiment de cette destinée qui ne devait pas être la mienne me révoltait intérieurement[1]. » Un Heine présente le même spectacle d’inadaptation douloureuse, ce flottement et ce déchirement d’une individualité supérieure tiraillée entre les influences sociables existantes, entre les idéaux et les partis antagonistes et ne voulant se fixer nulle part. « Ce que le monde poursuit et espère maintenant, écrit Heine en 1848, est devenu complètement étranger à mon cœur ; je m’incline devant le destin, parce que je suis trop faible pour lui tenir tête. »

À côté de ces révoltés de grand style, il en est d’autres de moindre envergure. Ce sont les mécontents ordinaires qui, incapables de se dresser seuls contre une société qu’ils jugent oppressive, unissent leurs forces à celles d’autres individus qui se sentent également lésés. Ces mécontents forment une petite société en lutte avec la grande. C’est l’histoire de toutes les sectes révolutionnaires. Petites à l’origine, elles tendent à s’élargir et à transformer la société à leur image. Ainsi entendu, l’esprit de révolte est bien un dissolvant social ; mais il est en même temps un

  1. Vigny, Journal d’un poète, p. 236.