Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/124

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me boycotte ? De tels raisonnements légitimeraient tous les attentats d’une opinion publique infectée de bigoterie morale contre l’individu. C’est sur de tels raisonnements qu’est bâtie la légende de la liberté individuelle dans les pays anglo-saxons[1]. Stirner sent bien lui-même le vice de son raisonnement, et il en arrive un peu plus loin à sa célèbre distinction entre société et association. Dans l’une (la société), l’individu est pris comme moyen ; dans l’autre (l’association), il se prend lui-même comme fin et traite l’association comme un moyen de puissance et de jouissance personnelle : « Tu apportes dans l’association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t’y fais valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en égoïste ; dans la seconde, tu vis en homme, c’est-à-dire religieusement : tu y travailles à la vigne du Seigneur. Tu dois à la société tout ce que tu as, tu es son obligé et tu es obsédé de devoirs sociaux ; à l’association, tu ne dois rien ; elle te sert, et tu la quittes sans scrupule dès que tu n’as plus d’avantages à en tirer… » « Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi, et tu t’en feras le serviteur ; l’association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle. L’association

  1. Ce qui prouve encore qu’il y a parallélisme entre État et société et que le libéralisme de l’un vaut celui de l’autre, c’est la récente mesure prise par l’État américain contre l’écrivain russe Gorki dans les circonstances qu’on sait. — Une telle mesure, qui heureusement paraîtrait impossible et ridicule en France, n’est possible là-bas que grâce à un certain état de l’opinion publique.