Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/55

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tesse et qui renferme quelque chose de douloureux et de tragique, est un sentiment plus profond et plus conforme à notre nature que le rire. Ce dernier se teinte lui-même de mélancolie et devient le rire amer dont parle Schopenhauer quand il se moque de notre propre détresse. — Quant à la distinction faite par Schopenhauer entre l’ironie et l’humour, l’une objective (tournée contre autrui), l’autre (l’humour) appliqué à soi-même, nous la croyons simplement verbale. La vérité est que l’ironie peut s’appliquer à soi-même aussi bien qu’à autrui. L’ironie de H. Heine est un jeu perpétuel de sa propre détresse. L’exemple le plus parfait de cette ironie sur soi-même est le passage célèbre où l’auteur de l’Intermezzo raconte comment, autrefois, dans sa période de belle santé, il s’était cru Dieu ; mais comment aujourd’hui, sur son lit de maladie et de souffrance, il ne se divinise plus du tout, mais il fait au contraire amende honorable à Dieu et a grand besoin « d’avoir quelqu’un dans le ciel à qui il puisse adresser ses gémissements et ses lamentations pendant la nuit, quand sa femme est couchée ».

Le conflit entre la notion abstraite et l’intuition n’est qu’un des aspects du dualisme dans lequel l’ironie prend sa racine. Le dédoublement de la pensée et de l’action, de l’idéal et du réel, tient de près au précédent et n’est pas moins mystérieux ni moins troublant. N’est-ce pas, en effet, une étrange