Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/76

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propres œuvres ; elle périt dès qu’elle s’adore. C’est pourquoi l’ironie fut de tout temps le caractère du génie philosophique et libéral, le sceau de l’esprit humain, l’instrument irrésistible du progrès. Les peuples stationnaires sont tous des peuples graves : l’homme du peuple qui rit est mille fois plus près de la raison et de la liberté que l’anachorète qui prie, ou le philosophe qui argumente… Ironie ! vraie liberté, c’est toi qui me délivres de l’ambition du pouvoir, de la servitude des partis, du respect de la routine, du pédantisme de la science, de l’admiration des grands personnages, des mystifications de la politique, du fanatisme des réformateurs, de la superstition de ce grand univers et de l’adoration de moi-même. Douce ironie ! Toi seule est pure, chaste et discrète…[1]. » Stirner célèbre la liberté absolue de l’ironiste, c’est-à-dire du propriétaire de ses pensées. « Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier, juste comme propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais c’est en souriant que j’accueillerai l’issue du combat, c’est en souriant que je déposerai mon bouclier sur le cadavre de mes pensées et de ma foi, et en souriant que, vaincu, je triompherai. C’est là justement qu’est l’humour de la chose[2]. » M. Remy de Gourmont dit de son côté : « Il n’est rien de durable sans l’ironie : tous les romans de jadis qui se relisent encore, le Satyricon et le Don Quichotte, l’Ane d’or

  1. Proudhon, Confession d’un révolutionnaire, sub fine.
  2. Stirner, l’Unique, trad. Reclaire, p. 440.