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Page:Palante - Les antinomies entre l’individu et la société, Alcan, 1913.djvu/81

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les antinomies entre l’individu et la société

sentiment[1]. » Qu’une émotion profonde, une mélancolie indéfinissable, que le souvenir heureux ou triste d’une heure lointaine émergent du fond de notre passé et envahissent notre être tout entier ; le frisson de cette émotion ne pourra se propager dans l’atmosphère opaque qui nous sépare d’autrui de la même façon que se propage une onde lumineuse ou sonore. L’émotion, quand elle arrive, traduite par le mot, dans la conscience d’autrui, est déjà flétrie et décolorée. Sa loi est de naître, de s’épanouir et de mourir solitaire dans la conscience où elle est née.

À l’unicité et à l’incommunicabilité du sentiment s’ajoute son instantanéité qui achève de le rendre insaisissable.

Signalons un autre caractère : le caractère infini de la passion et l’insatiabilité du désir humain.

La passion tend à se déployer à l’infini, tandis que la société fait de la médiocrité en tout le critérium de l’homme sociable. L’insatiabilité du désir fait que l’individu ne se sent jamais en parfaite harmonie avec son milieu et avec les satisfactions qu’il lui procure ; elle agit en lui, en tant qu’il est un être social, comme un principe éternel d’insatisfaction et de mécontentement.

  1. Bergson. Les données immédiates de la conscience (F. Alcan). — Voir aussi sur l’incommunicabilité du sentiment : Amiel, Journal intime. I, p. 114 ; Benjamin Constant, Adolphe ; M. Barrès, Un homme libre.