Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/88

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par s’identifier à elle et même par s’absorber en elle. Il épouse tous les préjugés et toutes les causes, — bonnes ou mauvaises, de sa caste. Il subit cette tare, cette dépression mentale qu’on appelle l’esprit de corps.

La loi des Élites se rattache directement à la loi de différenciation sociale. L’action de cette loi doit être signalée dans un relevé des influences conservatrices d’une société. Car les aristocraties et les élites de tout genre sont un élément essentiellement conservateur. Toutefois, le rôle des élites s’est modifié au cours de l’histoire.

Au début, l’élite, étant fondée sur la force, était forcément despotique. De nos jours, il n’en est plus nécessairement ainsi. L’élite sociale (intellectuelle, artistique et scientifique) reste souvent étrangère au Gouvernement. Les personnes qui composent ce dernier sont rarement celles qui composent l’élite. Il s’ensuit que les élites d’aujourd’hui ne sont plus nécessairement autoritaires et misonéistes. Elles peuvent même parfois se montrer philonéistes et progressistes. Ce fait se remarque particulièrement en Russie, où beaucoup de personnes appartenant à la fois à l’aristocratie de naissance et à l’élite intellectuelle se montrent dévouées aux idées progressistes et révolutionnaires.

M. Novicow explique d’une manière ingénieuse qu’il n’y a pas incompatibilité entre les élites et le progrès. Les élites (non seulement savants, mais littérateurs et artistes) contribuent au progrès des idées nouvelles et paradoxales par une certaine finesse de sentiment, un sens artistique qui les rend capables de mettre au point ces idées pour les faire pénétrer dans la grossière conscience commune. « L’élite, dit M. Novicow, n’élabore pas seulement les idées d’une société, elle élabore aussi ses sentiments. Or, les sentiments ont une importance encore plus considérable que les idées sur les désirs et les volitions… De plus, le sentiment est d’une puissance énorme par rapport aux idées extérieures. Quand elles