Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/96

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de tous les hommes ignorants, — à la persécution est encore plus frappant que leur tendance à l’imitation. Aucun barbare ne peut se résigner à voir un des membres de la nation s’écarter des coutumes barbares et des anciens usages de sa tribu. La plupart du temps la tribu entière s’attendrait à être châtiée par les dieux, si un seul de ceux qui la composent renonçait aux coutumes antiques, ou donnait l’exemple de quelque nouveauté. Dans les temps modernes et dans nos pays policés, nous pensons que chaque personne est uniquement responsable de ses actions, et nous ne pouvons pas croire que la faute d’autrui puisse nous rendre coupables. La culpabilité est pour nous une tâche personnelle qui résulte d’une conduite adoptée librement et ne s’imprime que sur celui qui l’a adoptée. Mais dans les époques primitives, on croit toute la tribu souillée d’impiété par l’acte d’un seul de ses membres ; cet acte l’expose tout entière, en offensant sa divinité particulière, aux châtiments célestes. Il n’y a point de responsabilité limitée dans les idées politiques de ces époques. » — Encore conviendrait-il d’ajouter que bien des survivances de cette mentalité subsistent parmi nous. Une classe, une caste, un corps constitué, une administration, ne pardonnent pas à un de leurs membres un acte qui, — bien que relevant de sa seule conscience, — est de nature à froisser les idées ou même les préjugés de l’opinion. Car l’opinion est la divinité dont on craint aujourd’hui par-dessus tout les représailles. Il faut donc être conformiste et moutonnier si l’on veut être en harmonie avec la morale de groupe.

Cette loi d’élimination ne frappe pas seulement les individus indépendants ou rebelles. Elle frappe aussi les membres frêles, débiles, inhabiles à renforcer le groupe. — Cette morale de groupe est tout animale. Celui qui a observé les mœurs des animaux domestiques a pu voir plus d’une fois une basse-cour tout entière se ruer sur un poulet malade pour l’achever