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LE ROMAN DES QUATRE

Jeannette n’eut que le temps de lui décocher un rapide regard… déjà Durand et Elzébert l’entraînaient vers la rue et le taxi plus loin.

Or, si Elzébert et Paul avaient pu suivre le regard de Jeannette, ils auraient vu le gaillard et n’auraient pas manqué d’être fort surpris de reconnaître l’individu que, la veille au soir, ils avaient remarqué en cette taverne de la rue Notre-Dame.

Quant à Jeannette, elle ne put contenir un cri de joie en trouvant dans l’auto sa tante. Elle se jeta dans ses bras en pleurant de joie.

— Pauvre petite, disait Mme Chénier, tu as bien souffert, hein ? Mais nous allons bien te soigner, tu verras. Mon Dieu ! quelle affreuse histoire !

À voir ce tendre tableau, Elzébert, qui avait le cœur dans les yeux, avait des larmes sur ses paupières.

— Vite ! vite ! dit-il, partons d’ici au plus tôt ! Marchez, chauffeur !

L’automobile se mit en mouvement.

— Mon Dieu ! que je suis heureuse ! s’écria Jeannette en embrassant sa tante. Savez-vous ce que j’ai vu, ou mieux qui j’ai cru voir tout à l’heure, comme nous sortions de cette maison.

— Qui donc ?

— Un homme qui cherchait à dissimuler sa présence, mais un homme qui ressemble étrangement à mon fiancé chéri, Germain Lafond.

— Germain Lafond ! fit Elzébert en tressaillant.

— Oui, j’aurais juré que c’est lui, si je n’avais pas su qu’il est mort.

Elzébert fut pris par un mystérieux étourdissement.

— Ce que je pensais, serait-il vrai ? marmotta-t-il.

Puis il questionna :

— Cet homme que vous avez vu, comment était-il vêtu ?

— Il était habillé comme un lumberjack : bottes bâtardes, culottes bouffantes kaki, blouse bleu marine et feutre mou sale et de couleur indécise. Mon Dieu !

— Quoi encore ?

— Mais l’homme que j’ai rencontré à Québec et qui m’a dit d’espérer était aussi vêtu de bottes bâtardes et de culottes bouffantes kaki, et il portait une blouse bleue marine et un feutre mou.

Mais Paul Durand hocha la tête.

— Mademoiselle, dit-il, vous êtes énervée des événements terribles qui viennent d’arriver. C’est peut-être une illusion d’optique, tout simplement.

— Non, non… j’ai vu cet homme, j’en suis sûre, dit-elle.

— Qui sait ? fit Elzébert Mouton. Des événements bien extraordinaires sont arrivés depuis quelques jours… Moi, je crois mademoiselle…

Une sombre et lourde impression d’effroi parut se produire sur l’esprit de ces personnages, et le silence s’établit.

FIN DE LA SECONDE PARTIE.


TROISIÈME PARTIE
FILS EMMÊLÉS
Par Jean Féron.

I


Le chauffeur avait reçu ordre de diriger sa machine vers la demeure de Mme Chénier, rue Saint-Denis. En peu de temps l’auto avait atteint la rue Sainte-Catherine et continué sa course vers Saint-Denis.

Le silence demeurait entre nos quatre personnages.

Avec une maternelle angoisse Mme Chénier considérait sa nièce, si jolie, si gracieuse dans sa pâleur et son émoi. Les yeux fermés, sa tête reposant sur l’épaule de sa tante, Jeannette, comme si elle avait été la proie d’un rêve dont elle ne pouvait secouer les brumes, récapitulait en son esprit troublé l’aventure mystérieuse et indéchiffrable qui pesait sur son cerveau comme un cauchemar. Et une vision obsédante la tenaillait : cet homme inconnu à barbe hirsute qu’elle venait d’entrevoir pour la seconde fois, ce mystérieux personnage portant le costume des coureurs des bois, l’auteur, pensait-elle, de ce chèque de $27,000. Et sous la barbe, sous la blouse bleue marine, sous les culottes bouffantes elle croyait de plus en plus reconnaître celui pour qui son pauvre cœur en deuil se consumait du même amour… Germain Lafond ! De temps à autre elle se demandait :

— Oh ! si cet inconnu était un revenant !

L’effroi comprimait son cœur à cette pensée. Mais, de suite par un effort de