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LE ROMAN DES QUATRE

— Savez-vous que l’on vous cherche ?

— Qui ?

— Les détectives. Ils sont venus trois fois au bureau depuis hier matin. Mademoiselle Lorraine et moi, nous avons été convoqués chez le Directeur de la Police, nous avons dû fournir caution pour être laissés en liberté.

— Comment ? Pourquoi ?

— Pour l’incorporation de la compagnie « La Digue Dorée, Incorporée ».

— Mais quel rapport avec l’affaire Lafond ?

— On a retrouvé les lettres de menaces adressées à Mouton et Durand et après nouvel examen, on a découvert qu’elles étaient signées « La Digue Dorée » et non « La Ligue Dorée », c’était un défaut de clavigraphe qui faisait prendre le D pour un L ; mais en examinant à la loupe, on a retracé le D au complet, surtout sur les deux premiers billets. Or, prétend-on, comme les rapports publiés par les journaux n’avaient mentionné que « Ligue Dorée », ceux qui ont demandé l’incorporation de la compagnie devaient nécessairement être du nombre des ennemis de Lafond.

— Et l’on vous a questionnés ? Qu’avez-vous répondu ?

— La vérité. Que nous ne connaissions rien à cette affaire, que nous avions signé la demande d’incorporation à votre requête, comme cela se pratique chaque jour, que vous étiez en voyage ; mais que vous ne tarderiez pas à revenir et qu’alors vous donneriez toutes les informations que vous jugeriez à propos de donner.

— Je n’ai pas dit où vous étiez allé, continua Mademoiselle Lorraine, je ne voulais pas que l’on vous dérangeât.

— Je vous remercie. Je sais que vous avez confiance en moi, que vous êtes persuadés que je ne me permettrais pas de vous mêler à une affaire qui ne serait pas absolument honnête. Quoiqu’il arrive, je vous prie de me conserver cette confiance absolue.

— Soyez sans crainte, reprit la jeune fille et comptez sur notre entier dévouement.

— Merci encore une fois et à présent, je vais aller voir Monsieur le Directeur de la Police.

Dix minutes plus tard, je frappais à la porte du bureau de ce dernier et lui faisais tenir ma carte.

— Enfin, on vous retrouve, homme mystérieux ! me dit le Directeur en me présentant un siège. Je regrette ce qui arrive, mais l’opinion publique est tellement surexcitée que si vous ne vous étiez pas présenté aujourd’hui, nous aurions été contraints de vous faire rechercher.

— Vraiment ? Je suis confus du désagrément que je vous cause. Et pourrais-je savoir au juste la raison de cet émoi ?

— Un simple renseignement, notaire, un renseignement qu’il vous sera très facile de me donner : Pour quel client avez-vous demandé l’incorporation de la « Digue Dorée, Incorporée » ?

— Monsieur le Directeur, je pourrais vous raconter toute une histoire comme les reporters de journaux à sensations ont seuls le talent d’en inventer, histoire qui serait cependant l’absolue vérité ; mais je suis persuadé d’avance que vous ne la croiriez pas. Je pourrais vous dire que je ne connais ni le nom, ni le domicile du mystérieux client qui a retenu mes services pour cette demande d’incorporation ; mais à quoi bon. D’ailleurs, pourrais-je vous fournir toutes les informations que vous désirez de moi, que je ne le ferais pas, car mon client m’a demandé le secret et je n’ai pas l’habitude de forfaire à mon serment d’office. Je suis même surpris que vous m’en aviez fait la demande.

— Alors, Notaire, je me vois dans la triste nécessité de vous retenir aux quartiers généraux comme témoin important dans l’affaire Lafond.

— L’affaire Lafond ? Mais au fait, y a-t-il une affaire Lafond ?

— Oui, Monsieur, il y a une affaire Lafond depuis hier après-midi, depuis que Paul Durand a déposé une plainte contre inconnus sous l’accusation de retenir séquestrés ses amis Lafond et Mouton. Or ces inconnus étaient les seuls à savoir que le protonyme de la bande était « La Digue Dorée » et non « La Ligue Dorée ». Nous retrouvons ce nom de « La Digue Dorée » en substance dans la charte que vous avez demandée du gouvernement de Québec. Concluez pour moi, Notaire. Ou vos clients sont les bandits qui ont enlevé Lafond et Mouton, ou… N’est-ce pas logique ?

— D’une vraie logique de fonctionnaire, Monsieur le Directeur.

J’avoue qu’en dépit de ma maîtrise sur moi-même, je me sentis tout à fait désemparé quand on me laissa seul en cette salle où avaient séjourné les gens les plus hétéroclites : mais cet abattement ne fut que mo-