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LE ROMAN DES QUATRE

vais pas trouvé les deux éléments nécessaires. D’abord, un claim minier qui n’offrit aucun aléa et ensuite un homme jeune, sympathique, intelligent et droit qui pût me seconder. Je connaissais Germain depuis près de huit ans, l’ayant rencontré dans la région de Porcupine où il allait travailler durant ses vacances et, en le retrouvant, je n’eus pas un moment d’hésitation. Quant au claim minier qu’il m’offrait, il n’est pas besoin d’être passé maître en géologie pour comprendre qu’il contient les gisements aurifères les plus riches du pays et que ces richesses sont en quelque sorte inépuisables. Autour du claim originaire, enregistré sous votre nom, Mademoiselle, nous avons piqueté quarante autres claims aux noms de personnes de confiance, ce qui constitue une superficie de quatre-vingt-deux mille acres de superficie. Nous aurions pu vendre nos droits à des financiers américains et en retirer une jolie fortune ; mais il y a assez longtemps que les étrangers exploitent notre patrimoine, nous voulons que les nôtres cessent de ne faire que tirer les marrons du feu pour les autres. Grâce à la « Digue Dorée » nous apporterons l’aisance dans toutes les familles qui voudront nous aider.

— Mais pourquoi ne pas m’avoir avertie ? Pourquoi m’avoir imposé le martyre que je souffre depuis plusieurs mois ? dit la jeune fille.

— C’est que dans la tragédie-comique que nous allions faire représenter, on vous avait destiné un rôle, Mademoiselle, un rôle de tout premier ordre. Vous étiez la jeune première ingénue, l’héroïne qui souffre et pleure, qui doit avoir des accents vrais et sincères. Inconsciente du rôle que vous jouiez, vous avez été une grande artiste : mais auriez-vous eu de pareils accents, si vous aviez été avertie que ce n’était qu’un rôle que vous débitiez. Ce qui a fait le naturel de la comédie que nous venons de représenter, c’est que tous les acteurs en scène ignoraient qu’ils jouaient la comédie. Prenez Mouton, il est encore bien persuadé qu’il a vu le cadavre de son ami dans le canot accosté à Golden Creek et cependant, comment aurait-il pu le voir, alors que depuis trois heures il était ivre mort dans une taverne où deux de mes anciens employés l’avaient conduit. Ces hommes mêmes, qui l’ont soûlé croyaient simplement jouer une bonne farce à Mouton lorsqu’ils l’amenèrent près de la rive et lui montrèrent Lafond couché dans son canot, la figure barbouillée du sang d’un loup que Lafond lui-même avait tué. Le lendemain, ils partaient pour l’intérieur des bois et n’ont certes plus entendu parler de cette affaire. Durand, hâbleur et froussard, était bien loin de croire qu’il jouait un rôle quand il allait déposer une plainte contre inconnus pour la disparition de ses amis et cependant, c’est moi qui le lui avais inspiré en le faisant suivre trois soirs consécutifs. Le nommé Philéas était bien loin de se croire un acteur quand il agissait comme factotum de Lafond déguisé en Landry et écoutait aux portes afin d’acquérir la certitude que son maître était bien le fameux Landry et pouvoir plus tard le trahir. Et vous-même, Notaire, n’avez-vous pas, durant quelques jours été un acteur inconscient ?

— Je l’avoue. De tous les personnages de cette comédie, vous étiez les deux seuls à être complètement initiés.

— Et remarquez comme nous nous sommes appliqués à demeurer dans l’ombre. À de rares intervalles, Germain, déguisé en lumberjack suivait de loin sa fiancée, lui glissait quelques mots d’encouragement, billets toujours écrits au clavigraphe : moi-même, je ne me suis montré que dans deux circonstances. À Québec, lors de l’envoi du fameux chèque qui a tant intrigué Mademoiselle Chevrier et une autre fois, lors de l’arrestation de Germain, pour m’assurer de l’état de sa fiancée et lui faire passer un billet pour la rassurer.

— Et Landry ? Il est mort, n’est-ce pas ?

— Comme son frère l’a assuré, il est mort à Vancouver il y a plus d’un an. C’était un piètre sire et si Germain et moi, nous avons songé à le ressusciter un moment, c’est que tous deux, nous avions de sérieuses raisons d’abhorrer son souvenir. À Germain, il avait tenté d’enlever sa fiancée, à moi, il a un jour fait perdre une petite fortune en vendant un secret que je lui avais confié. Si je me suis servi de son nom, c’est que j’ignorais qu’il fut mort et d’ailleurs, dans ma lettre de vendredi, je déclare que le brigand à qui j’avais déclaré la guerre avait usurpé le nom d’un mort.

— Mais enfin, le pseudo Landry ?

— Je ne sais pas au juste. Au cas la vente des actions ne marcherait pas comme je le désire, peut-être le ferai-je revenir en scène encore, maintenant que j’ai goûté ce genre de publicité gratuite, vous savez…

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Que vous dirais-je de plus ? Tout le monde sait que les prévisions de Morin se sont plus