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LA CITÉ DANS LES FERS

— Et à présent ?

— À présent c’est encore un Bertrand, qui, pour avoir quitté la terre n’en va pas moins s’y retremper souvent le moral.

Il l’aida à descendre.

— Vous rappelez-vous ce chemin ?

— Oui, répondit-elle en rougissant. J’étais plus insouciante alors qu’aujourd’hui. J’étais l’enfant gâtée, habituée à tous ses caprices, adulée… encensée… Maintenant…

— Maintenant ?

— Votre amour m’a fait voir les choses sous un tout autre aspect.

Il était dans les environs de midi. La maison accueillante souriait au soleil.

— Je vais vous présenter à mon gérant et à sa femme. Ce sont de braves gens. Vous venez ?

— Partout où vous irez, j’irai.

— Nous dînerons ici. Ce sera un changement pour vous. Je parie que vous n’avez pénétré que rarement dans l’intérieur de nos bonnes vieilles maisons canadiennes.

— En effet. Voyez-vous, moi, j’appartiens à la ville. C’est là que je suis née, c’est là que j’ai vécu, je n’en suis jamais sortie que pour aller dans d’autres villes ou aux plages à la mode. Je vous suivrai et je vous assure que je vais faire honneur au repas de vos gens. Cette petite randonnée m’a aiguisé l’appétit.

Avant même qu’ils fussent arrivés à la porte d’entrée, Mme Lebœuf s’avançait au devant d’eux, la figure épanouie.

— Bonjour M. André. Il y a bien longtemps qu’on ne vous a vu. Bonjour mademoiselle.

— Bien près d’un an, Mme Lebœuf. Vous me permettez de vous présenter ma fiancée, Mlle Lucille Gaudry.

Mme Lebœuf s’essuya le creux de la main sur les revers de son tablier et la tendit, large et cordiale.

— Je suis heureuse Mademoiselle de vous connaître et je vous félicite.

— Vous la félicitez de quoi Madame Lebœuf, dit Bertrand en riant.

— Mais d’être votre fiancée, Monsieur André… Vous allez entrer ? À cette heure-ci, je suppose que vous n’avez pas dîné.

— Tout juste et je vous demande l’hospitalité pour ce midi. Votre mari est-il à la maison ?

— Non, il est allé au village tantôt. Je l’attends d’une minute à l’autre.

Ils pénétrèrent dans la maison.

Alerte, Madame Lebœuf allait devant eux, empressée à les servir. À gauche du passage, elle ouvrit une porte qui donnait sur le bureau du politicien, son cabinet de travail, quand il venait passer quelque temps à la campagne.

— Vous serez mieux ici.

La pièce était grande et confortable. C’était la plus spacieuse de l’habitation. Au mur, un vieux foyer en pierre, lui gardait son cachet antique. C’était le foyer des débuts qu’à l’encontre d’un peu partout ailleurs, on n’avait pas fait murer.

Il a vu bien des rêves germer à son feu alors que l’adolescent au sortir du collège, s’amusait les soirs d’automne à y voir crépiter les bûches de merisier. Des soliveaux couraient sous les plafonds. Les murs étaient encombrés de photographies, de peintures, de vieilles estampes. Sur les planchers, en guise de tapis, des peaux de bêtes étaient jetées çà et là. Au-dessus de la porte un fusil était accroché.

Une table massive dans le centre de la pièce, deux bibliothèques à rayons le long de la muraille et quelques fauteuils de cuir composaient l’ameublement.

— Ici, c’est mon véritable chez moi, dit André à la jeune fille. C’est ici que je travaille avec le plus d’aise et le plus de goût.

Intéressée elle examinait les photographies sur le mur.

Soudain elle tressaillit.

Dans un cadre d’ébène, une jeune femme souriait ; au bas, il y avait ces mots :

À André.
Yvette.

Le politicien remarqua le trouble de la jeune fille.

— Cette photographie vous intrigue ?

Avec une moue, elle répondit :

— Non.

Il rit d’un bon rire, joyeux et franc.

— Je suis content que ça vous déplaise. Au moins c’est une preuve que je ne vous suis pas indifférent. Je veux vous expliquer comment il se fait que ce cadre soit là.

— Je ne vous demande pas d’explication…

— Je vous en donne… Ce n’est pas une ancienne flamme… C’est une amie à moi d’autrefois. Vous la connaissez. C’est Yvette Gernal, l’artiste de la Renaissance. Elle m’avait envoyé sa photo, et comme la photo était jolie et qu’Yvette était une artiste d’une grande célébrité, je l’ai mise là sur le mur… Il fallait bien la déposer quelque part.

Et comme le joli visage de l’aimée s’était rembruni, il lui prit les deux mains qu’il tint