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LA VIE CANADIENNE

de la colonie, en 1663, je crois, on enjoint d’observer s’il y manque des femmes ou des filles « afin d’v en envoyer le nombre né-J •>

cessaire l’année prochaine.”

Dans les Jugements du Conseil Souverain on voit que l’imigration était surveillée avec soin et vigueur, afin que l’on n’envoyât point de personnes douteuses ni de gens adonnés à des métiers dont ils ne trouveraient ici ni le besoin ni l’à-propos d’en créer l’emploi. Ce principe de remontrances ou recommandations, aux débuts de la colonie, eut des avantages incomparables. Ainsi, nous n’avons reçu la plupart du temps que des cultivateurs choisis et nous n’avons pas à en rougir. Le Canada ne fut jamais une colonie pénale. Le Conseil Souverain renvoyait presque toujours en France ceux dont la conduite était mauvaise ou qui ne possédaient point de ressources pour se tirer d’affaires. À l’égard des femmes repréhensibles il faut voir comment on les traitait. Nous étions sous le régime autocratique de la France, qui consistait à obéir aveublément, sans rien dire, mais nous étions infiniment mieux gouvernés que le royaume sous le rapport de la morale. Pierre Boucher, écrivant en 1663, dit : « Il n’est pas vrai qu’il vienne ici de ces sortes de filles e* ceux qui en parlant se sont grandement mépris : ils ont pris les îles de Saint-Christt plie (les Antilles) et de la Martinique pour la Nouvelle-I ra ice. S’il y en vient ici, on ne les connaît point pour telles (au momer’ : eu départ) car. aunt de les embarquer, il faut qu’il y ait quelques-uns de leurs parents ou amis qui assurent qu’elles ont toujours été sages. Si, par hasard, il s’en trouve quelques-unes de celles < ui viennent qui soient décriées, ou que pendant la traversée elles aient eu le bruit de se mal comporter, on les renvoie en France." L’été et l’automne de 1665 11 arriva une centaine de filles, suivant uu passage de la Mère de l’Incarnation. Ce chiffre, d’après les calculs de M. Suite, paraît exagéré. La Mère de l’Incarnation est sujet à caution lorsqu’il s’agit de statistiques. La Soeur Mo.la est dans le même cas. N’ont-elles pas été jusqu’à dire que nous avions reçu en diverses occasions plusieurs milliers de soldats ! Le régiment de Carignan, le seul que nous avions jamais eu au complet, comptait tout au plus 1400 hommes, et ils ne se sont pas tous établis dans la colonie. La Mère de l’Incarnation a certainement fait erreur en disant une centaine ; d’ailleurs, ne se rectifiet-elle pas elle-même à la date du 2 octobre de cette même année 1665, lorsqu’elle note qu’il est venu 82 filles et femmes, dont 50 d’une maison de charité de Paris « où elles ont été très bien instruites. Elles ne font que d’arriver et les voilà déjà quasi toutes pourvues. Le roi en enverra 200 l’année prochaine, et encore d’autres, en proportion, les années suivantes. Il envoie aussi des hommes pour fournir aux mariages, et, cette année il en est bien venu 500 sans parler de ceux qui composent l’armée.”

Le 18 octobre 1667, la même religieuse dit qu’il « est venu de France 02 filles qui sont déjà mariées, pour la plupart à des soldats et à des gens de travail ». L’Intendant Talon, de son côté, écrivant à Colbert, donne des chiffres différents : « On nous a envoyé de Dieppe 84 jeunes filles et 25 de La Rochelle. Il y en a quinze ou vingt d’assez bonnes familles ; plusieurs sont de véritables demoiselles et passablement bien élevées. Elles se plaignent de la fatigue du voyage et du manque de soin. Je ferai mon possible pour leur donner satisfaction, car si elles écrivent à leurs protecteurs en France qu’elles n’ont pas été bien traitées, cela peut mettre obstacle à votre projet de nous envoyer l’an prochain (1668) un bon nombre de jeunes personnes choisies.”

En 1668 le roi déboursa 40,000 francs pour aider à l’envoi de jeunes filles. Talon, lui écrivant à ce sujet, dit : « Entre les filles qu’on fait passer ici il y en a qui ont de légitimes et considérables prétentions aux successions de leurs parents, même entre celles qui sont tirées de l’Hôpital Général de Pa- • » >

ris.

Cet automne 1668 la Mère de l’Incarnation- écrit que les navires qui venaient d’arriver portaient comme une marchandise mêlée et qu’il v avait des femmes maures, portugaises, allemandes, hollandaises et autres. Il n’y avait qu’une personne le chacune de ces nations. Elle ajoute qu’il est arrivé un grand nombre de filles françaises venues sans leurs familles. Ce contingent était composé en partie de filles de villes, ce qui ne plaisait pas au Conseil Souverain. La Mère de l’Incarnation dit à ce sujet : « L’on ne veut plus demander que des filles de villages, propres au travail comme les hommes. L’expérience fait voir que celles qui n’v ont pas été élevées ne sont pas propres pour ici. Le porteur de