Page:Paquin - Le mort qu'on venge, 1926.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sauts et elle lui en voulait de s’être moquée d’elle, d’avoir simulé l’amour pour l’humilier. Mais vite, son orgueil se taisait ; il l’avait domptée, suivant son expression. Elle n’était plus à son tour qu’une pauvre petite chose. Ne plus le voir ! Jamais ! ne plus appuyer son bras au sien, sentir près de sa faiblesse cette force sur qui s’appuyer.

Vivre maintenant sans lui ! Toujours songer à ces quelques jours de bonheur vécus récemment. Toujours éprouver l’amertume des inutiles regrets.

Sur ses lèvres elle ressentait encore la brûlure de ses baisers.

Une douleur intolérable la tenaillait. Sa tête lui faisait mal ! Un mal horrible… une blessure au cœur… où goutte à goutte sa vie s’écoulait… une incapacité de penser…

 

Taciturne, pâle, exsangue, les yeux durs, les lèvres serrées, Julien regagna sa chambre, à l’hôtellerie.

Il roulait des pensées amères. L’inconnu du lendemain se dressait devant lui, fantomatique. Il avait envie de pleurer, mais il surmonta sa douleur. Il n’avait jamais cru que ce fut si douloureux.. Souvent il eut l’intention de revenir sur ses pas, de conter à Adèle que toute cette scène n’était que de la comédie, qu’il voulait l’éprouver, mais une voix lui commandait : Non ! Il est trop tard maintenant.

Et, les poings serrés, il continuait de marcher, regardant fixement devant lui.

De retour à sa chambre, il s’assit sur son lit et demeura plusieurs heures à regarder le même point, sur la muraille. On aurait dit que la vie s’était retirée de lui. Une lassitude morne l’envahissait. Il sourit béatement… puis un rictus nerveux tordit ses lèvres. Il se leva, prépara sa malle. Il voulait partir cette nuit même, fuir n’importe où. Ici, il y avait trop de souvenirs…

Il s’en irait par le premier bateau en partance de Québec. Il liquiderait toutes ses affaires et courrait le monde pour tromper son ennui… jusqu’au jour, où il s’étendrait pour mourir, lassé de trop de souffrances.

Quand il descendit pour solder sa note de pension, il aperçut un attroupement dans le parterre, et vit que les gens parlaient avec animation.

— Où est le docteur Berthelet, demanda-t-on.

On finit par le trouver.

Il se dirigea vers l’annexe de l’hôtel.

Vaguement inquiet, Julien s’approcha du groupe. Tous, en le voyant, demeurèrent génés.

Presque brutal, il demanda.

— Mais qu’avez-vous donc ? Que s’est-il produit ?

— Ce qui se produit, demanda Thérèse Lesieur, et en apercevant les malles du jeune homme près de la porte… Ah ! vous partez ! Eh bien ! partez en paix, soyez content de votre œuvre, Gosselin !

— Mais qu’y a-t-il donc, demanda-t-il de nouveau, et la pâleur de ses joues s’accentua davantage.

— Vous êtes un monstre, répliqua la jeune fille pour toute réponse. Il y a qu’Adèle Normand est entre la vie et la mort, qu’elle a failli se noyer, et que sans Mathieu Lalonde qui l’a sauvée à temps et a pu pratiquer la respiration artificielle…

Elle ne put continuer.

Un cri, quelque chose de féroce et de surhumain sortit de la gorge de Julien Daury. Un ricanement nerveux le secoua tout entier.

Et comme un fou, il se précipita vers la chambre de la jeune fille, bouleversant tout le monde sur son passage, se frayant son chemin par la force de ses bras. Le docteur Berthelet lui en interdit l’entrée…

— Elle est hors de danger pour le moment du moins, mais elle délire… Il est mieux qu’elle ne vous voit pas. J’irai vous voir tantôt.

Et il retourna près de sa patiente.

Julien regarda alors dans le vide, vers quelqu’un d’invisible et murmura, le poing dressé :

— « Es-tu vengé, maintenant ? »

Puis il eut un grand soupir de soulagement. On venait de lui ôter un poids, un poids énorme qui l’écrasait.

Il eut la sensation physique d’être léger, très léger.

Il remonta ses malles à sa chambre et remit à plus tard son départ pour Québec.

Quelques minutes plus tard, le docteur Berthelet fit son apparition. Il lui raconta l’accident. Il disait « accident », d’une façon curieuse.

Mathieu Lalonde qui revenait du quai par le chemin de la grève remarqua une forme, un peu au large, qui lui parut être une forme humaine. Il se jeta à l’eau et arriva a temps pour recueillir Adèle avant que l’im-