Page:Paquin - Le paria, 1933.djvu/16

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nait trop de curiosité méchante, elle se rétablit vite. Pour cacher sa détresse et sa honte, elle abandonna le logis qu’elle habitait, la rue où elle vivait, pour se terrer dans un fond de cour au milieu d’un quartier sale de l’Ouest qu’empuantissait, jour et nuit, la fumée des locomotives.

Comme si le malheur, en s’abattant trop lourd sur l’individu, épuise, par son intensité, la capacité de souffrir qu’il porte en lui, Louise Bernier avait atteint le degré suprême de l’insensibilité morale.

Rien ne l’émouvait plus, ni la joie, ni la peine. Son cœur, son âme, s’étaient repliés, refermés, sans plus s’ouvrir. Et cela, semblait-il, à jamais.

Elle allait en journée, lavant les planchers, accomplissant sa besogne, machinalement, avec les gestes instinctifs. Une voisine, aussi pauvre qu’elle, gardait l’enfant. Le soir venu, elle l’allait chercher, lui préparait son repas et le sien, et, sans dire une parole, l’esprit perdu dans une sorte de nirvanah, elle mangeait à ses côtés, regardant parfois fixément sur la muraille, un point, toujours le même.