Page:Paris, Paulin - Collège de France ; cours de littérature du Moyen-âge. de la mise en scène des mystères.djvu/11

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le remboursement de ses dix écus d’or. La seconde quittance nous l’atteste, comme on va voir :

« Le dernier jour de décembre 1462, au petit Echevinage, en présence de sire Jean Landée, majeur, a esté conclu par les Echevins en grant nombre, que la somme de dix escus d’or que avoit et que a payé Guillaume de Borneuil, pour avoir le jus de la Passion, à Paris, à maistre Ernoul Grebain, luy fussent baillés et délivrés des deniers de la ville. Et sont iceux jeus, clos et sellés des seaux de Jean de Brimeu, Mathieu du Pont, Chretien de Genesve, et Jacques d’Arnel, echevins ; et mis en un coffre en l’echevinage de la dite ville, tant et jusques à ce que on verra iceulx juer. Laquelle somme sera deduite sur ce que messires vouront donner quant on juera lesdits jeux. »

Cette quittance nous apprend bien des choses. D’abord Arnoul Gresban écrit son ouvrage avant la fin de 1452, apparemment même quelques années plus tôt ; car c’est en raison de la vogue de son poëme, et par conséquent après nombre de représentations antérieures, que le nom d’Arnoul Gresban avait dû parcourir la France, et qu’un citoyen d’Abbeville n’hésitait pas à se présenter à son logis pour avoir, sinon le droit de faire jouer sa pièce (comme on dirait et comme on ferait aujourd’hui), au moins la possession d’un exemplaire manuscrit très-authentique de l’œuvre originale, exemplaire acquis de l’auteur même. Or, ceux qui faisaient de semblables acquisitions de manuscrits, soit pour eux, soit pour des échevins désireux de concourir aux plaisirs de leurs administrés, avaient bien soin de ne pas en laisser multiplier les copies et de conserver ainsi le privilége de le faire représenter. Il est donc permis de penser qu’Arnoul Gresban, déjà bien payé par la ville de Paris, put encore vendre nombre d’exemplaires à d’autres villes de France, faire ainsi d’abondantes recettes et devancer les bonnes fortunes de nos auteurs dramatiques les meilleurs ménagers et les plus habiles.

Mais enfin cette œuvre, si hautement prisée et si bien payée par les contemporains, avait-elle une valeur réelle et pouvait-elle mériter la vogue qu’elle obtint ? Non, si l’on en juge par l’analyse qu’en donnent les frères Parfait, par le sentiment qu’en ont exprimé tous les anciens critiques, La Vallière, Voltaire, La Harpe, et, de notre temps, Berryat Saint-Prix, Émile Morice, M. Saint-Beuve et M. Génin. Oui, si l’on en croit M. Onésime Le Roy, M. Louis Pâris et M. Eugène Gérusez, qui les premiers ont protesté contre une opinion généralement admise. Vous savez, Messieurs, de quel côté je me suis rangé. Dans l’examen attentif que nous avons fait du Mystère de la Passion,