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romans, la composition des vers. Et quant à tout te reste, pour employer un lieu commun des trouvères,

Jà n’en donnast une pomme pourrie.

On le voit, je ne crois pas que Froissart avant l’âge de trente-trois ou trente-quatre ans ait fait partie de la milice ecclésiastique. Quelques actes et plusieurs comptes parlent constamment de lui comme d’un laïque, trois années même après la mort de sa protectrice, la reine d’Angleterre. Quand l’argentier du duc de Brabant écrit son nom sur le registre des gratifications de son maître, c’est un certain Froissart rimeur, tout court. Dans une lettre de remission accordée à certains malfaiteurs, Jean Froissart paroît au nombre des valets, écuyers et sergents qui s’étoient portés contre eux en armes. Ce n’est pas qu’alors la profession de clerc ou même de prêtre engageât autant que nous serions tentés de le croire aujourd’hui ; car la discipline ecclésiastique est devenue d’autant plus austère et rigoureuse que le sentiment religieux a plus perdu de son empire. Cette sainte carrière présentoit un grand nombre d’avantages aujourd’hui perdus pour ceux qui s’y dévouent. Avec le bienveillant appui d’un grand seigneur ou d’un simple baron, le clerc obtenoit aisément un ou plusieurs bénéfices, une prébende, une cure, un prieuré. Comme chapelain, il avoit entrée, gîte, bouche et le reste dans un noble hôtel ; et s’il joignoit à quelque instruction le goût de la poésie, il devenoit secrétaire, chroniqueur de la famille ; il suivoit les fêtes, étoit admis aux banquets, et cela dans un rang ordinairement assez honorable. C’étoit donc une heureuse vie pour ceux dont un certain patrimoine n’assuroit pas l’indépendance ; sauf le collier clérical dont pourtant, quelque lâche qu’il fut, on demeuroit attaché ; et ce collier semble avoir effrayé longtemps maître Jean Froissart. Il pensoit qu’il valoit mieux changer à volonté de lieux et de maîtres (ainsi nomme-t-il tous ceux qui lui ont fait du bien), courir l’aventure et l’alternative des bons et mauvais gîtes, louer et chanter les