Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/24

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comme la foi l’apprend. Car nous savons que les corps saints sont habités par le Saint-Esprit jusqu’à la résurrection, qui se fera par la vertu de cet Esprit qui réside en eux pour cet effet. C’est pour cette raison que nous honorons les reliques des morts, et c’est sur ce vrai principe que l’on donnoit autrefois l’eucharistie dans la bouche des morts, parce que, comme on savoit qu’ils étoient le temple du Saint-Esprit, on croyoit qu’ils méritoient d’être ausi. unis à ce saint sacrement. Mais l’Église a changé cette coutume : non pas pour ce que ces corps ne soient pas saints, mais par cette raison que l’eucharistie étant le pain de vie et des vivans, il ne doit pas être donné aux morts.

Ne considérons plus un homme comme ayant cessé de vivre, quoi que la nature suggère ; mais comme commençant à vivre, comme la vérité l’assure. Ne considérons plus son âme comme périe et réduite au néant, mais comme vivifiée et unie au souverain vivant : et corrigeons ainsi, par l’attention à ces vérités, les sentimens d’erreur qui sont si empreints en nous-mêmes, et ces mouvemens d’horreur qui sont si naturels à l’homme.

Pour dompter plus fortement cette horreur, il faut en bien comprendre l’origine ; et pour vous le toucher en peu de mots, je suis obligé de vous dire en général quelle est la source de tous les vices et de tous les péchés. C’est ce que j’ai appris de deux très-grands et très-saints personnages. La vérité que couvre ce mystère est que Dieu a créé l’homme avec deux amours, l’un pour Dieu, l’autre pour soi-même ; mais avec cette loi, que l’amour pour Dieu seroit infini, c’est-à-dire sans aucune autre fin que Dieu même ; et que l’amour pour soi-même seroit fini et rapportant à Dieu.

L’homme en cet état non-seulement s’aimoit sans péché, mais ne pouvoit pas ne point s’aimer sans péché.

Depuis, le péché étant arrivé, l’homme a perdu le premier de ces amours ; et l’amour pour soi-même étant resté seul dans cette grande âme capable d’un amour infini, cet amour-propre s’est étendu et débordé dans le vide que l’amour de Dieu a quitté ; et ainsi il s’est aimé seul, et toutes choses pour soi, c’est-à-dire infiniment. Voilà l’origine de l’amour-propre. Il étoit naturel à Adam, et juste en son innocence ; mais il est devenu et criminel et immodéré, ensuite de son péché.

Voilà la source de cet amour, et la cause de sa défectuosité et de son excès. Il en est de même du désir de dominer, de la paresse, et des autres. L’application en est aisée. Venons à notre seul sujet. L’horreur de la mort étoit naturelle à Adam innocent, parce que sa vie étant très-agréable à Dieu, elle devoit être agréable à l’homme : et la mort étoit horrible lorsqu’elle finissoit une vie conforme à la volonté de Dieu.

Depuis, l’homme ayant péché, sa vie est devenue corrompue, son corps et son âme ennemis l’un de l’autre, et tous deux de Dieu. Cet horrible changement ayant infecté une si sainte vie, l’amour de la vie est néanmoins demeuré ; et l’horreur de la mort étant restée pareille, ce qui étoit juste en Adam est injuste et criminel en nous.

Voilà l’origine de l’horreur de la mort, et la cause de sa défectuosité. Éclairons donc l’erreur de la nature par la lumière de la foi. L’horreur