Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
SUR LES COMMANDEMENS DE DIEU.

chain de persévérer à prier, et par conséquent d’obtenir la persévérance dans la justice, comment osera-t-on assurer qu’aucun de tous ceux qui ont persévéré, et qui persévèrent effectivement, ne persévère que par des voies très-efficaces, puisqu’il n’y a nulle absurdité, ni impossibilité que tant de personnes qui ont un pouvoir prochain de persévérer, persévèrent ? et qu’au contraire, il est moralement impossible qu’entre tant de milliers d’hommes qui ont ce pouvoir prochain, il n’y en ait pas au moins un qui le réduise en acte ; qu’il est même vraisemblable qu’il y en aura beaucoup, et qu’il est absolument faux qu’il y ait certitude à dire qu’il n’y en aura pas un. Si donc saint Augustin établit positivement que tous les élus sont sauvés par des grâces efficaces, et que tous les justes qui ne sont point élus indubitablement ne persévéreront point : n’est-il pas indubitable qu’ils n’en ont pas le pouvoir prochain. Car, s’ils l’avoient, il seroit impertinent d’assurer qu’il ne seroit jamais réduit en acte, puisque la qualité essentielle de prochain est telle qu’elle met l’homme dans une certitude absolue de la réduction à l’acte. Et cependant, qui ne sait que c’est un principe de ce Père, répandu dans tous ses ouvrages et fondamental de sa doctrine, que les élus, c’est-à-dire tous ceux qui persévèrent, persévèrent très-certainement par des moyens très-efficaces, et que les justes réprouvés très-certainement ne persévèrent point ?

Si c’est un principe ferme dans la doctrine de saint Augustin, qu’Adam et les anges avoient un secours prochain suffisant pour ne point s’éloigner de Dieu, par lequel ils pouvoient, ou ne point s’en éloigner, ou s’en éloigner en ne s’en servant pas ; et que maintenant cela ne soit pas dans les forces de notre libre arbitre, mais que Dieu veuille qu’il n’appartienne plus qu’à sa seule grâce, et que nous nous approchions de lui, et que nous ne nous en éloignions point : n’avons-nous pas sujet de conclure par la différence de la volonté de Dieu à l’égard de la nature innocente et corrompue, et par la différence des moyens par lesquels il nous donne de ne point nous éloigner de lui, que ceux qui persévèrent, persévèrent par l’efficacité de sa grâce ; et que ceux qui ne persévèrent pas n’ont pas le pouvoir prochain de persévérer ? Et cependant qu’y a-t-il de plus familier dans la doctrine de saint Augustin, que la différence de ces secours ? N’aurons-nous pas sujet de conclure aussi que Dieu ne veut plus maintenant commettre la persévérance au libre arbitre des hommes, et qu’ils ne sont plus capables maintenant de se servir d’un secours prochainement suffisant ? Or c’est ce qu’il établit dans tous ses livres, et particulièrement dans tout celui De la correction et de la grâce, et presque dans tout celui Du don de la persévérance, dont ce trait suffit : « Car, afin que nous ne nous éloignions point de Dieu (il montre que cela ne peut nous être donné que de Dieu), cela n’est plus en aucune sorte dans les forces du libre arbitre. Cela a été dans l’homme avant sa chute ; et cette liberté de la volonté a paru dans l’excellence de cette première condition dans les anges, qui, lorsque le diable est tombé avec les siens, sont demeurés fermes dans la vérité, et ont mérité de parvenir à une assurance éternelle. Mais après la chute de l’homme, Dieu a voulu qu’il n’appartint plus qu’à sa grâce que l’homme