Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
143
POUR LES CURÉS DE PARIS.


pour en retarder la censure par cette feinte soumission, ils n’ont pas craint de traiter avec injure ceux qui n’ont fait que suivre, dans la condamnation du P. Banny, le jugement de la Faculté de Paris, qui, en 1641, l’a censuré en ces termes : « Hæc propositio falsa est et pernicIosa, etiam additis restrictionibus, et domesticis furtis viam aperit. »

Mais ce qui nous touche le plus est l’injure qu’ils font aux saints Pères, de les alléguer comme favorables à cette méchante doctrine. « Saint Ambroise, dit l’apologiste (p. 81, lib. de Tobia, cap. XV), dit qu’on peut prendre de l’usure pour s’indemniser d’une personne qui nous porte quelque préjudice : « Ab illo usuram exigis, cui nierito nocere desideras. » D’où j’infère que, s’il m’est permis de prendre de l’usure pour me récompenser, et recouvrer ce qu’une personne me doit, je puis me récompenser par quelque autre voie. » Ils répètent la même chose dans leurs nouveaux imprimés. ·

Mais il ne faut que considérer le passage entier de saint Ambroise, pour juger de l’abus qu’ils en font, et des horribles conséquences qui pourroient s’en tirer en le prenant au sens qu'ils le prennent. Ce Père ayant déclaré que l’usure est défendue par la loi de Dieu, et que, selon les païens mêmes, il n’est non plus permis de s’enrichir par des usures que de s’enrichir par des homicides, il s’objecte ce passage du Deutéronome (XXXIII), où Dieu, défendant aux Israélites d’exiger des usures de leurs frères, le leur permet à l’égard des étrangers : « Fratri tuo non fœnerabis ad usuram, sed ab alienigena exiges. » A quoi il répond en ces termes : « Qui étoit alors étranger, sinon les Amalécites, les Amorrhéens, et les autres ennemis du peuple juif ? Voilà, dit le Seigneur, de qui vous pouvez exiger des usures. Ceux à qui vous pouvez justement désirer de nuire ; ceux à qui vous avez le droit de faire la guerre, vous avez droit aussi d’exiger des usures d’eux. Ne pouvant les vaincre par la guerre, vous pouvez vous en venger en tirant d’eux tous les mois le centième de ce que vous leur prêterez. Exigez des intérêts de celui que vous pouvez tuer sans crime. Où il y a donc droit de faire la guerre, il y a droit aussi de prêter à usure. Ab hoc usuram exige, quem non sit crimen occidere. Ergo ubi jus belli, ibi etiam jus usuræ . »

Comment les jésuites appliqueront-ils ces paroles de saint Ambroise aux valets à qui le P. Bauny permet de voler leurs maîtres pour égaler leurs gages à leurs peines ? Les valets ont-ils droit de faire la guerre à leurs maîtres ? Ont-ils droit de les tuer ? ont·ils droit de les piller même à force ouverte, comme on en a droit dans les guerres justes ? Voilà les circonstances dans lesquelles saint Ambroise dit que Dieu permit aux Juifs de prêter à usure aux Ghananéens, par le même droit de souverain maître des hommes et de juste vengeur des méchans, par lequel il avoit commandé à son peuple de tuer tous les habitans de la Palestine ; parce que leurs crimes énormes, qui sont particulièrement décrits dans le livre de la Sagesse, avoient mérité ce châtiment. Or, qui doute que ce que Dieu donne ne soit légitimement donné à ceux à qui il le donne.

Mais qu’y-a-t-il ici de semblable ? Un valet qui est convenu de ses gages, quelque petits qu’ils puissent être, et quelque nécessité qui l'ait