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SUR LES COMMANDEMENS DE DIEU.

porter la terreur dans les autres, puisqu’il seroit dans leur pouvoir d’en bien user ? Et n’est-il pas nécessaire que cette soustraction soit toute libre de la part de Dieu, pour faire qu’étant ôté à quelques justes, ceux qui ne sont pas plus justes qu’eux aient sujet de craindre un pareil effet de la part de leur maître ? Mais s’ils ont en eux-mêmes l’assurance de conserver ce secours autant que leur justice, et s’ils sont assurés de ne point le perdre qu’en en usant mal, comment pourroit-on les porter à l’humilité par l’exemple des autres, puisqu’il n’y a rien dans les autres qui doive les faire craindre, sinon le mauvais usage de ce pouvoir qu’il est en eux de ne point faire ?

Qui est-ce qui sait en cette vie s’il est prédestiné ? Il est nécessaire que cela soit caché en ce monde, où l’orgueil est si fort à craindre qu’il a fallu qu’un grand apôtre fût souffleté par un ange de Satan, de peur qu’il ne s’élevât. C’est pour cela qu’il est dit aux apôtres mêmes : « si vous demeurez en moi ; » quoique celui qui le disoit sût bien qui étoient ceux qui devoient y demeurer ; et par le prophète : « Si vous voulez, et si vous m’écoutez : » encore qu’il sût bien qui étoient ceux en qui il opéreroit le vouloir ; et ainsi plusieurs choses semblables sont dites pour l’utilité de ce secret.

Si donc il faut croire que c’est pour l’utilité de ce secret que la justice est donnée à quelques réprouvés, et qu’ils ne sont point ôtés de cette vie jusqu’à ce qu’ils tombent, afin d’apprendre aux élus qu’ils n’ont jamais l’assurance de persévérer ; et puisqu’il ne faut pas craindre seulement devant la justice, mais encore après la justice, ne s’ensuit-il pas que les justes n’ont pas le pouvoir prochain de demeurer ?

Si donc c’est encore un principe ferme dans saint Augustin que les justes sont sans assurance de persévérer, comment peut-on leur donner l’assurance de la présence d’un pouvoir prochain de prier, dont le bon usage leur donne l’assurance de l’effet de leur demande ? N’est-il pas manifeste que, suivant l’opinion non-seulement de saint Augustin, mais de toute l’Église sans aucune exception, et de celui même qui vous importune du contraire, que l’on n’a jamais l’assurance de persévérer, et que les plus justes ne sont pas exempts de cette crainte ? Et cependant comment peut-elle subsister dans les justes, puisqu’on les assure qu’ils ont toujours le pouvoir prochain de prier, et que d’ailleurs l’Évangile les assure qu’ils obtiendront toujours ce qu’ils demanderont avec justice ?

Se peut-il rien de plus contraire au sens commun et à la vérité ? Leur crainte ne seroit pas seulement détruite, mais encore leur espérance ; car puisqu’on n’espère pas des choses certaines, ils n’espéreront pas la continuation de ce secours, puisqu’il leur est certain : leur espérance ne sera pas aussi d’obtenir ce qu’ils demandent, puisque cela est encore certain. Quel sera donc l’objet de leur espérance, sinon eux-mêmes, de qui ils espéreront le bon usage d’un pouvoir qui leur est assuré ?

Vous voyez que par ces nouveaux dogmes les justes ne doivent plus avoir de crainte ni d’espérance qu’en eux-mêmes. Aussi ils interprètent ce passage : « Opérez votre salut avec crainte, » c’est-à-dire avec crainte de ne pas bien user des grâces ; et non pas avec crainte que Dieu vous quitte. Ce sont leurs termes, comme vous le savez : et partant, cette