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LETTRE

crainte est fondée sur ce que l’on peut, par sa volonté, user bien de ce pouvoir ; au lieu que saint Paul la fonde sur ce que c’est Dieu qui opère lui-même en nous ce vouloir, et il opère ce vouloir, non pas suivant la disposition de notre volonté, mais suivant sa propre bonne volonté.

Reconnoissez donc, suivant saint Augustin, que la prière est toujours l’effet d’une grâce efficace : que ceux qui ont cette grâce, prient ; que ceux qui ne l’ont pas ne prient pas, et qu’ils n’ont pas le pouvoir prochain de prier : que tant que Dieu ne laisse point sans la grâce de prier on prie ; que ceux qui ne prient pas sont laissés sans ce pouvoir ; que c’est un mystère inconcevable, pourquoi Dieu retient l’un et non pas l’autre de deux justes ; que ceux qui persévèrent ont un secours efficace ; que ceux qui ne persévèrent pas n’en ont pas le pouvoir prochain ; que le libre arbitre n’a plus la force de s’en servir ; que Dieu ne veut pas lui commettre le succès de ce secours ; que la persévérance dans les anges a été par un pouvoir prochain ; qu’elle n’est plus dans les hommes de cette sorte ; que ce qui étoit l’effet de leurs mérites est maintenant l’effet de la grâce ; qu’il n’appartient plus au libre arbitre de persévérer ; que c’est l’ouvrage de la grâce ; que c’est elle seule qui fait prier ; qu’elle seule fait qu’on s’approche de Dieu ; qu’elle seule fait qu’on ne s’en éloigne pas : que Dieu veut que ce soit elle seule et que ce ne soit point autre chose qu’elle qui fasse qu’on ne s’en éloigne pas ; que de tous ceux qui persévèrent aucun ne persévère que par une grâce efficace ; que de tous ceux qui ne persévèrent pas, il n’y en a pas un qui, dans son premier détour de Dieu, ne soit délaissé de lui auparavant ; qu’il y a bien de la différence entre la chute des anges et la chute des justes d’à présent ; que la chute d’Adam n’a rien d’inconcevable, mais que la chute des justes réprouvés est inconcevable ; que le libre arbitre n’a plus maintenant les forces de se servir de ce pouvoir prochain, et qu’avec un tel pouvoir, il ne pourroit effectivement persévérer ; que la justice n’est donnée aux réprouvés que pour tenir les élus dans la crainte ; que les élus mêmes sont quelquefois laissés, pour leur apprendre la crainte et l’humilité ; et enfin qu’il est inconcevable pourquoi, de deux enfans jumeaux, si l’on veut, et, pour mieux dire, quelconques, l’un reçoit le baptême, et non pas l’autre ; mais qu’il est encore plus impénétrable pourquoi, de deux justes, l’un persévère, et non pas l’autre. Si tout cela est textuellement la doctrine, et le langage de saint Augustin, reconnoissez franchement qu’il est bien faux, suivant ses maximes, que tous les justes aient le pouvoir de prier prochainement suffisant, puisque si cela étoit, il s’en concluroit nécessairement le contraire de tout ce que je viens de rapporter de saint Augustin, c’est-à-dire qu’il ne seroit pas impénétrable pourquoi, de deux justes, l’un persévère et non pas l'autre ; et tout le reste que vous pouvez suivre aussi facilement de l’esprit que le lire.

Reconnoissez donc franchement la grandeur de ce mystère, pourquoi l’un persévère, et non pas l’autre. Car, pour le regarder dans toute sa profondeur, vous concevez bien que si Dieu avoit voulu damner tous les hommes, il auroit exercé sa justice, mais sans mystère ; s’il avoit voulu sauver effectivement tous les hommes, il auroit exercé sa misé-