Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
L’UNION TOLSTOÏ

n’admit pas au fond, tout au fond de lui, la possibilité que ce déshonneur ne fût vrai ? Pourtant il restait une place pour le doute, et c’était de quoi résister au choc. En revanche, une chose était vraie, qui, elle, ne permettait pas le doute, et c’était l’évidence qui infligeait au jeune homme l’impression la plus pénible : la jouissance cruelle que Riouffol avait éprouvée à imaginer et à dénoncer cette honte d’Antoine, peut-être supposée, et à insulter, à piétiner Jean dans son frère, comme il avait piétiné Crémieu-Dax dans son père. Quelles profondeurs de rancune dans cette sensibilité d’un ouvrier qui ne pouvait pas pardonner à ses cousins de s’être embourgeoisés ! La famille dont ils faisaient partie était donc aussi atteinte dans ceux qui n’avaient pas monté que dans ceux qui avaient monté, et pour le même motif ? Elle ne s’était pas développée sur place et lentement, dans toutes ses branches à la fois. Revenu, comme il lui arrivait sans cesse par la tournure médiative de son esprit, aux pensées qui lui montraient, derrière les moindres accidents de sa destinée, une grande cause générale, Jean avait repris le chemin de la maison paternelle sur cette réflexion. Elle achevait de l’emplir d’une mélancolie d’autant plus forte qu’il s’y joignait le sentiment du mensonge sur lequel posait cette Union Tolstoï de laquelle il n’attendait guère de satisfaction depuis des mois déjà, — pas ce hideux résultat tout de même, pas cette hostilité féroce de ces illettrés auxquels ils avaient, ses amis et lui, demandé