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L’OBSTACLE

— « Je l’avais deviné, » fit M. Ferrand, « et je l’avais dit à Brigitte. Vous lui avez parlé de votre démarche et de notre conversation ?… »

— « Non, » répondit Jean, « pas plus que du reste, pas plus que de nos longues discussions, autrefois, sur les problèmes religieux, pas plus que de mes doutes et de mes recherches. Tout ce travail de ma pensée, mon père ne le connaît pas. Il ne l’a jamais connu… Ah ! monsieur Ferrand… » Et l’agitation du jeune homme grandissait au fur et à mesure d’une trop pénible confidence qu’il ne s’était jamais permise, et qui portait sur le drame le plus secret, le plus amer de sa vie de cœur. « Votre sincérité me fait un devoir de tout vous dire, moi aussi… Mais que c’est dur ! Laissez-moi me reprendre, » continua-t-il. « Je vais toucher en moi-même à des plaies si cachées… »

— « N’y touchez pas ! » interrompit Ferrand avec une vivacité singulière. Il avait toujours mis tout son soin à ne jamais s’entretenir du père avec le fils, et, soudain, il appréhendait un réquisitoire contre son ancien camarade, que, même dans ce moment, il ne voulait pas entendre : « Fût-ce à moi, » ajouta-t-il, « vous ne devez pas vous plaindre de votre père… »

— « Moi ? m’en plaindre ? » répondit Jean, douloureusement. « Non, monsieur Ferrand, je n’ai jamais eu, je n’aurai jamais, j’en suis sûr, un reproche à faire à mon père. Si mes rapports avec lui sont parfois bien cruels pour moi, ce n’est