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L’ÉTAPE
vous l’ai révélé. N’ai-je pas raison, je vous le demande maintenant, de me refuser à ce nouveau délai que vous m’offrez si généreusement, raison de renoncer pour toujours à un rêve dont je n’avais pas bien vu les conditions ? Je les vois aujourd’hui, nettement, complètement, vous aussi, mon cher maître, et vous pensez comme moi, que j’ai été fou de concevoir ce rêve, que je serais coupable d’essayer de le réaliser à ce prix… Vous vous taisez à présent. Mais votre silence me répond assez, et votre visage, depuis que je vous ai tout confessé…

Tandis que son ancien élève lui racontait longuement, amèrement, avec des passages de révolte tour à tour et de désespoir dans la voix, la misère de la tragédie morale dont les stigmates se lisaient sur sa physionomie si jeune et déjà si tourmentée, M. Ferrand n’avait, en effet, ni proféré une remarque, ni posé une question. Son front plissé avait seulement exprimé une concentration d’esprit de plus en plus intense. Les grands cliniciens, consultés sur un cas où la moindre erreur de diagnostic serait fatale, n’ont pas un masque plus immobile, plus dépouillé de toute impression étrangère aux symptômes qu’ils sont en train d’observer. Ils n’ont pas, non plus, pour énoncer la décision sans appel où ils se sont fixés, plus de gravité impérative que le père de Brigitte n’en eut pour donner à cet entretien l’unique conclusion qu’il comportât :