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LES MONNERON

nuances, mais, dans les instants comme celui que traversait ce jeune homme, les plus chétifs incidents de notre sort nous apparaissent sous un angle symbolique. Ces riens nous révèlent, par derrière eux, la pression de causes si profondes, et ils achèvent de nous écraser de mélancolie ! Nous comprenons, nous saisissons cette unité totale de la vie que le génie des législations issues de la coutume rendait perceptible par la minutie des rites. Il n’y a rien d’absolument insignifiant dans le monde humain. Par une loi aussi mystérieuse qu’universelle, notre destinée n’est, du petit au grand, que notre caractère projeté au dehors, et ce caractère lui-même n’est, en dernière analyse, qu’une résultante des vastes faits généraux qui ont gouverné le développement de notre individualité : notre patrie, le moment de son histoire, ses mœurs, les idées qui flottent dans son air. L’installation d’une famille dans un endroit plutôt que dans un autre, voilà, semble-t-il, un détail d’existence privée bien négligeable, et Jean Monneron comprenait que même cet établissement de ses parents ici et non ailleurs n’avait pas été arbitraire. Dans une crise d’intuition imaginative, il apercevait, déterminant cet incident minuscule comme elles avaient déterminé le reste, deux des grands phénomènes nationaux que M Ferrand appelait l’Erreur française : la manie égalitaire et le fonctionnarisme. — Que son ancien maître eût raison de condamner l’une et l’autre de ces deux ten-