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L’ÉTAPE

dances, comment le jeune homme en eût-il douté, alors qu’il s’en trouvait la victime ? Sa détresse était telle à cette minute, qu’arrivé sur le palier de ses parents, immobile dans le lugubre jour glauque de ce triste midi rendu plus triste par le morne éclairage de cet escalier sans air, il fut tenté de ne pas sonner et de s’en aller, de fuir indéfiniment, dans la rue plus hospitalière que le foyer familial, puisqu’il n’y souffrirait pas, au lieu qu’il allait offrir son cœur blessé à des piqûres… Puis, secouant la tête, et tendant tout son être dans un sursaut d’énergie, il pressa sur le timbre, et — ce trait achèvera de montrer la jeunesse de cette sensibilité, encore si naïve, si pénétrée, même dans son réalisme naissant, de réminiscences scolaires, — il se répétait mentalement un vers d’un poète grec inconnu, cité par Marc-Aurèle, et où son stoïcisme d’étudiant se retrempait dans les mauvaises heures, tant il y trouvait une forte expression du fatalisme universel : « Tu n’es q’un esclave, tu n’as pas la parole… »

Une ironie du hasard, qu’il ne pouvait pas, dans sa présente humeur, percevoir en gaieté, voulut qu’au moment même où il se faisait à lui-même cette héroïque citation, une voix répondit de l’intérieur de l’appartement un : « Boum ! voilà, voilà !… » où il reconnut l’accent faubourien qu’affectait son frère cadet. La porte s’ouvrit pour laisser apparaître le visage chafouin, aux yeux vicieux, du jeune Gaspard. Le collégien en