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LA PEUR DES BOSSES

vous n’êtes pas tous les quatre hors de ce cercle, Cocardasse il vous y fera passer la tête la première.

Gauthier Gendry haussa les épaules :

— Si tu veux de l’ombre, ricana-t-il, il n’en manque pas, vers minuit, au creux de l’égout de Montmartre.

L’œil du Gascon lança un éclair sanglant.

— Et pas non plus dans l’autre monde, Gauthier Gendry… Toi qui attaques si bien les gens la nuit, tu dois faire mauvaise besogne au grand jour… Vivadiou ! regarde un peu le soleil en face, mon bon ; tu ne le verras plus tout à l’heure.

Il ne fallait plus qu’un mot pour faire sauter les lames hors du fourreau et le Gascon remuait déjà les lèvres pour le dire.

Il réfléchit qu’il y avait mieux encore à faire.

De la pointe de son épée, il alla cueillir le feutre de Gendry sur sa tête et le fit voler par-dessus les spectateurs, en dehors de la limite tracée.

— Sandiéou !… s’écria-t-il, puisque tu t’obstines à vouloir rester à l’ombre tu n’as que faire de ton couvre-chef.

En un quart de seconde, les adversaires furent en ligne, quatre d’un côté, trois de l’autre.

Gendry et les siens n’osèrent pas rester acculés à la porte, de peur d’y être cloués comme des hibous, et ce fut sous le passage même que la lutte commença.

Ainsi il était impossible de s’attaquer de flanc. La foule fermait les deux bouts du couloir et, pour en sortir, les plus forts seraient obligés de passer sur le ventre des plus faibles.

Le combat commença.

Les jurons de Cocardasse résonnaient sous la voûte et quand il détendait le ressort de ses jambes, que son épée s’allongeait au bout de son grand bras, il couvrait à lui seul plus de la moitié de la longueur du champ.

Tout naturellement il avait devant lui l’ex-caporal aux gardes, tandis que Passepoil tenait tête à la Baleine et que Berrichon ferraillait comme un endiablé contre Yves de Jugan et Raphaël Pinto.

Les coups pleuvaient dru, mais ils étaient aussi bien parés que donnés et l’on eût dit un magnifique assaut dans une salle d’armes. Rien ne portait que les injures qu’on se lançait à la face.

Il n’était pas très juste cependant que Jean-Marie, le moins expérimenté des trois, eût deux adversaires contre lui, d’autant plus qu’il n’y mettait aucune prudence, et se laissait emporter avec l’audace des débutants.

Raphaël Pinto s’en aperçut bien vite et résolut aussitôt d’en profiter, en lui allongeant un coup de Jarnac que, certainement, l’autre ne saurait pas parer.

Mais il avait compté sans Cocardasse, qui, désireux de voir son ancienne Pétronille racheter sa faute, surveillait en même temps son élève. Quand il devina le projet du petit Italien, d’un violent coup de fouet il détourna l’épée de Gendry qui le menaçait lui-même, et décocha à Pinto une formidable estocade au travers de l’épaule.

— Té ! pitchoun ! lui dit-il en riant, t’en voilà pour un mois au moins avant de pouvoir seulement te gratter l’oreille.

La foule applaudit fort à cette boutade et les chances du combat s’étant égalisées, la lutte entra dans une phase plus vive.