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LA PEUR DES BOSSES

— Cornebiou ! dit paisiblement. Cocardasse en voyant Daubri se mettre en garde contre lui, aux côtés de Gendry, merci de la prévenance, mon mignon ; tu savais donc que le grand air de la rue met en appétit que tu m’offres les bouchées doubles ?… Quoique ça, le compte n’y est plus, et nous allons voir un peu à éclaircir vos rangs, eh donc !

— Éclaircis ta voix d’abord, maître bavard, ricana Daubri, il me semble que tu as peur !

— Ver !… tu parles si bien qu’à toi sera l’honneur de défiler le premier.

— Nous perdons notre temps, opina Passepoil, et ce qui n’est pas galant, nous le faisons perdre à toutes les jolies femmes qui nous font la grâce de nous regarder… Y êtes-vous, messieurs ?

Les épées se croisèrent de nouveau. Ce qu’on avait vu jusque-là n’était qu’un jeu d’enfants auprès de la lutte qui commença. Berrichon et Jugan mis à part, c’étaient de fières lames que celles qui se choquaient à cette heure sur le boulevard Montmartre. Parmi ceux qui assistaient à ce spectacle, il en était de vieux qui n’avaient jamais rien vu de pareil. Les autres devaient en parler longtemps à leurs enfants.

L’acier cliquetait ; les gardes des rapières avaient des vibrations qui sonnaient clair aux oreilles des assistants immobiles et muets. Les cris de combat les hurlements de mort, les appels à la tuerie se croisaient, jaillissaient en imprécations des lèvres écumantes.

Soudain, Daubri tomba, la gorge trouée suivant les règles de la botte adoptée par Cocardasse, qui malgré la leçon à lui donnée par le Petit Parisien à l’auberge de la Pomme d’Adam, ne se sentait pas assez maître du fameux coup droit sur dégagé pour imiter Lagardère.

— Capédédiou ! hurla le Gascon triomphant, je t’avais bien dit que tu ouvrirais la marche… À qui le tour, maintenant ?… À toi, Gauthier Gendry…

Maintenant, celui-ci avait plus souci de se défendre que d’attaquer.

Quant à maître Passepoil, il avait fort à faire avec Blancrochet, qui passait pour l’une des plus fines lames de Paris.

De son côté, il n’y avait pas de cris. Le combat était silencieux et d’autant plus serré ; nul n’était capable de prévoir à qui resterait l’avantage.

L’ex-Pétronille était entre bonnes mains. Le petit Berrichon s’en servait si dextrement que bientôt Yves de Jugan cracha deux dents, rendit le sang par la bouche et s’affala tout de son long. Il est de belles carrières de spadassins ainsi brisées d’un simple coup droit !

En même temps, l’épée de Gendry se brisa tout près de la garde.

Va en chercher une autre, couquin, lui cria le Gascon ; nous allons, en attendant, régler l’affaire de celui-ci.

Blancrochet se trouva avoir devant lui les deux plus redoutables adversaires et ce n’était pas à lui qu’allaient les sympathies de la foule. Jusqu’alors on avait vu les prévôts lutter contre des ennemis supérieurs en nombre, aussi personne ne songea-t-il à protester quand deux épées, au lieu d’une, menacèrent le bretteur. N’était-ce pas lui, d’ailleurs, qui l’avait cherché ?

Blancrochet se vit perdu s’il ne mettait pas en œuvre sa dernière ressource, dont pourtant il n’avait pas pensé avoir besoin.

Il poussa un coup de sifflet strident et six nouveaux spadassins, ses affidés, qui jusque-là étaient mêlés aux badauds, se dressèrent devant les prévôts, l’épée au poing.