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intention. L’intention, c’est le regard de l’âme, dit Bossuet. Et c’est en ce sens que je prends ce mot. Péguy n’a pas l’esprit vif. Il ne passera guère son bachot qu’à dix-huit ans. Il sait peu de choses et continue de lire lentement en paysan. Il restera le même jusqu’à sa mort.Peslouan l’a vu à trente ans lisant pour la première fois Jacques le Fataliste et le Rouge et le Noir parce que ces ouvrages paraissaient dans un journal, l’Aurore je crois, qu’il prenait quotidiennement. Il n’a pas d’esprit au sens mondain du mot, mais pourtant le goût et le sens du comique à la manière de Rabelais ou de Courteline. Sa culture est faite purement des auteurs classiques : il lira et relira Homère, Virgile, les Tragiques grecs et français, La Fontaine, Bossuet. Il s’apparente ainsi aux hommes cultivés du xviie siècle, au Boileau des Remarques sur le traité du Sublime. C’est l’opposé de la culture d’un Marcel Schwob ou même d’un Montaigne.

Orléans fait partie de sa culture. C’est une ville où le passant ne voit rien d’extraordinaire, mais sur le plan invisible dans Orléans il y a Jeanne d’Arc. Le regard du petit Péguy cherchait sans doute sur le chemin de sa maison à l’école des figures, des beautés comme il y en a dans les livres, car il avait une de ces imaginations chrétiennes et classiques avides de grandeur morale et de surnaturel : il trouva Jeanne d’Arc. Le souvenir de l’héroïne remplit Orléans ; il n’y est pas comme à Reims ou à Rouen noyé sous du gothique et des enrichissements ; cette cité un peu stagnante n’a pas d’autre histoire. « Je ne sais pas, disait Péguy à Charles de Peslouan[1], de quel ton Rabier parle de

  1. Charles de Peslouan, à la fois savant et lettré, un des premiers