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Jeanne d’Arc. Il me donna les raisons de ces trois actes qui tous trois engageaient sa vie. Il quittait l’École parce que désormais apprendre ne lui suffisait plus. Il avait fait ses apprentissages et sans plus d’atermoiements devait entreprendre un travail vrai, un travail ouvrier. Il avait choisi d’être éditeur comme les Estienne, comme Balzac parce que, ainsi, il pourrait s’éditer lui-même et que le métier même d’imprimeur lui plaisait. (Et c’est vrai que c’était sa vocation : toute sa vie il a continué de corriger ses épreuves, de préparer ses mises en page avec un soin jaloux, satisfaisant là le goût ouvrier de la perfection qu’il voulait imaginer chez tous.) Il se mariait parce qu’il voulait le plus tôt possible connaître la vie avec toutes ses charges. Il serait peut-être lâche plus tard, il avait hâte d’avoir du courage. Enfin il publiait Jeanne d’Arc, bien qu’il sût que c’était une œuvre étrange et qui ne satisferait personne, parce que c’était là un coup porté et qui le dispenserait d’expliquer.

« À ce moment, m’écrit Tharaud (un de ses plus anciens amis et son camarade d’École), Péguy était encore mal renseigné sur lui-même et sur ses sympathies profondes. Il abandonnait la rue d’Ulm, et c’est encore l’École qu’il s’empressa de recréer autour de lui dans sa boutique de la rue Cujas, la vieille École que j’ai connue, l’École du socialisme intégral et de l’anticléricalisme agissant. Et cependant, comme il ressemblait peu aux camarades qu’il groupait autour de lui ! Peut-on être anticlérical à la façon solennelle et naïve dont l’étaient nos camarades, quand on emporte dans sa malle — une pauvre vieille malle usée sur laquelle il avait écrit de sa plus belle écriture : Prière de ne pas toucher !