Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/104

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Dreyfus n’est point mort pour Dreyfus. Il est de bonne règle que la victime ne soit point de la mystique de sa propre affaire.

C’est le triomphe de la faiblesse humaine, le couronnement de notre vanité, la plus grande preuve ; le plus grand effort, le chef-d’œuvre, la démonstration la plus haute, suprême, culminante de notre infirmité.

Il fallait que ce fût ainsi pour que le chef-d’œuvre de notre misère fût achevé, pour que toute l’amertume fût bue, pour que l’ingratitude fût vraiment couronnée.

Pour que ce fût complet. Pour que le désabusement fût achevé.

L’affaire Dreyfus, le dreyfusisme, la mystique, le mysticisme dreyfusiste fut une culmination, un recoupement en culmination de trois mysticismes au moins : juif, chrétien, français. Et comme je le montrerai ces trois mysticismes ne s’y déchiraient point, ne s’y meurtrissaient point, mais y concouraient au contraire par une rencontre, par un recoupement, en une rencontre, en un recoupement peut-être unique dans l’histoire du monde.

Je suis en mesure d’affirmer que tous les mystiques dreyfusistes sont demeurés mystiques, sont demeurés dreyfusistes, sont demeurés les mains pures. Je le sais, j’en ai la liste aux cahiers. Je veux dire que tout ce qu’il y avait de mystique, de fidèle, de croyant dans le dreyfusisme s’est réfugié, s’est recueilli aux cahiers, dès le principe et toujours, guidés par un