Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/277

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vous préviens que je ne vous offense pas, vous êtes, vous appartenez à une des plus hautes, des plus anciennes, des plus vieilles, des plus grandes, et puisqu’aussi bien nous nous expliquons, puisqu’il est entendu que nous ne nous flattons plus, une des plus nobles familles de la vieille tradition bourgeoise libérale républicaine orléaniste. De la vieille tradition bourgeoise française, libérale française. Vous êtes un doctrinaire, j’entends que de race vous êtes un doctrinaire. Et moi. Moi vous le savez. Voyons, vous le savez bien. Tout le monde le sait.


Moi vous le savez bien. Les tenaces aïeux, paysans, vignerons, les vieux hommes de Vennecy et de Saint-Jean-de-Braye, et de Chécy et de Bou et de Mardié, les patients aïeux qui sur les arbres et les buissons de la forêt d’Orléans et sur les sables de la Loire conquirent tant d’arpents de bonne vigne n’ont pas été longs, les vieux, ils n’ont pas tardé ; ils n’en ont pas eu pour longtemps à reconquérir sur le monde bourgeois, sur la société bourgeoise, leur petit-fils indigne, buveur d’eau, en bouteilles. Les ancêtres au pied pertinent, les hommes noueux comme les ceps, enroulés comme les vrilles de la vigne, fins comme les sarments et qui comme les sarments sont retournés en cendre. Et les femmes au battoir, les gros paquets de linge bien gonflés roulant dans les brouettes, les femmes qui lavaient la lessive à la rivière. Ma grand mère qui gardait les vaches, qui ne savait pas lire et écrire, ou, comme on dit à l’école primaire, qui ne savait ni lire ni