Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/321

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réelle, au moins en ce sens, qui n’est pas inscrite, qui n’est pas entrée dans (l’ordre de) la réalité, dans (l’ordre de) l’événement, puisqu’elle n’est pas écrite. Vous connaissez cet état, Halévy. Quand on a une œuvre en tête on croit que ce n’est rien, pour la grandeur, pour les dimensions, qu’on la tient dans le creux de la main, in cava manu, on la voit comme un noyau, on ne voit qu’elle, on la voit toute en un point (organique), en un petit volume, on en voit tout de suite le bout, le dedans et le dehors, tous les tenants et les aboutissants, tous les morceaux, tous les membres, tous les organes, tout le tout, ce n’est rien, c’est fini, on la tient là sous la main. On aura sûrement fini ce soir. Et quand on la développe, quand on la déroule sur le papier, sur le plan du papier, dans ce développement, dans ce déroulement linéaire qui est la condition même, qui fait l’institution, qui est la constitution de l’art d’écrire, qui fait la loi, on ne sait plus où l’on va, (si on est loyal, si on est probe, si on veut suivre, si on suit fidèlement les modalités, les modulations, les ondulations de la réalité). (Les courbes géologiques.) (Les courbes, les plis du terrain.) Si on ne truque pas, fût-ce pour des raccourcis (artificiels). On est constamment épouvanté des exigences de ce développement, de ce déroulement. C’est exactement comme en montagne. Cette cime, que l’on avait, que l’on tenait sous la main, il faut des jours et des jours de ce travail, de cette marche forcément linéaire, (et forcément par étapes), pour en atteindre seulement les premières avancées. En verra-t-on seulement jamais la fin. La vie est brève. Atteindra-t-on seulement ce premier contrefort. On voit très bien la fin de la vie de Péguy. Sur-