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ŒUVRES POSTHUMES

lèle à l'événement. La mémoire est perpendiculaire. La mémoire s'enfonce et plonge et sonde dans l'événement.

L'histoire c'est ce général brillamment chamarré, légèrement impotent, qui passe en revue des troupes en grande tenue de service sur le champ de manœuvre dans quelque ville de garnison. Il passe au long des lignes. Et l'inscription c'est quelque sergent-major qui suit le capitaine, ou quelque adjudant de garnison qui suit le général, et qui met sur son calpin quand il manque une bretelle de suspension. Mais la mémoire, mais le vieillissement, dit-elle, c'est le général sur le champ de bataille, non plus passant au long des lignes, mais (perpendiculairement) en dedans de ses lignes au contraire, fixé, retranché derrière ses lignes, lançant, poussant ses lignes, qui alors sont horizontales, qui sont transversales devant lui. Et derrière un mamelon la garde était massée.

Dans la mémoire, dans la remémoration les lignes sont transverses. Comme en géologie si je puis dire normale. Elles sont horizontales ; et par suite trans- verses pour celui qui sonde et qui fouille.

En somme, dit-elle, l'histoire est toujours des grandes manœuvres, la mémoire est toujours de la guerre.

L'histoire est toujours un amateur, la mémoire, le vieillissement est toujours un professionnel.

L'histoire s'occupe de l'événement mais elle n'est jamais dedans. La mémoire, le vieillissement ne s'oc- cupe pas toujours de l'événement mais il est toujours dedans.

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